Voici une drôle de rencontre. Petit phénomène émergé d'internet en 2014, l'artiste pop HALSEY abordait certes parfois des thèmes sombres et personnels derrière ses couches d'auto-tune, mais son œuvre se tenait bien loin de nos univers habituels. Et puis Trent Reznor et Atticus Ross se sont chargés de produire le dernier album de l'artiste, If I Can't Have Love, I Want Power (sur lequel on retrouve aussi notamment THE BUG ou MEAT BEAT MANIFESTO) lui attirant une attention nouvelle et, forcément, emmenant sa musique dans une nouvelle direction.
L'album commence d'ailleurs comme une illustration sonore du fameux Koulechov au cinéma : comment deux éléments mis côté à côté s'influencent dans l’œil (ou l'oreille) d'un public, se complétant l'un l'autre et gagnant un sens qu'ils n'avaient pas si pris séparément. Écoutez donc ce piano sinistre qui accompagne The Tradition dont les refrains appelaient probablement un accompagnement plus accrocheur. Intransigeants, les NINE INCH NAILS n'accordent à HALSEY que quelques synthés mystérieux en renfort et l'entrée en matière de l'album fait frissonner : l'alliance des deux fait des étincelles. C'est d'ailleurs quand Reznor et Ross sont dans la retenue qu'ils offrent à HALSEY le meilleur. On les savait capables de faire beaucoup avec peu, décuplant l'impact du texte et faisant monter la tension avec quelques notes spectrales répétées en boucle : Bells in Santa Fe et son final noise ou Whispers en sont de bons exemples d'élégance et d'effets savamment calculés, à l'opposé d'arrangements tapageurs supposés faire vibrer la sono.
Bizarrement, c'est quand If I Can't Have Love, I Want Power se lâche que le soufflé retombe un peu. Quand le rythme s'accélère et le ton durcit, alors qu'on aurait attendu des boomers de NIN qu'ils apportent à la jeune femme un supplément d'agressivité, on se retrouve avec des sucreries pop-punk insipides (Easier than Lying, You Asked for This ou honey avec Dave Grohl à la batterie). Reznor et Ross sont parfois moins impliqués, se contenant de fournir un background passe-partout sur trois minutes. Dommage, car dans l'ensemble l'album regorge d'idées qui font mouche et l'alchimie prend souvent.
Avec sa mélancolie omniprésente, HALSEY parle de sa récente maternité et d'auto-destruction. Aucun single, une prod inhabituelle, une promotion faite avec des vidéos sanglantes à la Game of Thrones : on ne peut que saluer une prise de parti et un courage artistique certain. Même le hit gentillet aux relents nostalgiques qui ne lâche pas notre oreille, Girl is A Gun, dégage une impression d'étrangeté, peut-être à cause de ses lignes de chant à la Shut me Up de MINDLESS SELF INDULGENCE ou de sa prod à la The Perfect Drug / MEAT BEAT MANIFESTO. I Am Not a Woman, I'm a God et ses beats hypnotiques et la lourdeur poisseuse de The Lighthouse (et le boss Reznor himself qui donne un peu de la voix sur la fin) flirtent avec le malsain, la menace et le danger. On ne s'y attendait pas.
Certes, If I Can't Have Love, I Want Power reste un album pop plus qu'une vraie expérimentation industrielle. Reznor et Ross ne s'y réinventent pas et leur travail ne déviera pas de leurs zones de confort. L'intérêt de l'album, là où la magie opère, c'est dans la rencontre entre deux univers, entre les rengaines entêtantes et la voix facile à écouter d'Ashley Nicolette Frangipane et des instrumentations qui cassent l'ambiance. On n'est pas venus pour danser. Un contraste se crée entre l'agréable douceur de la voix, ses airs accrocheurs et l'humeur générale qui se dégage du mélange, sévèrement enténébrée par nos deux troubles-fête. La recette prend et fait même quelques merveilles.
On le savait déjà, mais s'allier au "mainstream" n'est pas toujours s'y diluer. Dans le cas d'HALSEY, tout le monde en ressort gagnant : l'artiste y gagne une nouvelle crédibilité en offrant à son oeuvre une ampleur inédite jusque là, Reznor et Ross y gagnent une voix qui touchera des oreilles fermées à leurs autres travaux et surtout, nous, les auditeurs, on y gagne un bien bel album.