Chronique | Heartworms - Glutton for Punishment

Pierre Sopor 8 février 2025

Apparu en 2020, Heartworms a pris le temps de nous habituer à son univers avant de sortir son premier album. Il est bien question d'univers auquel se familiariser avec le travail de la londonienne Josephine "Jojo" Orme tant Heartworms brouille les pistes en mélangeant post-punk, pop gothique, froideur industrielle, élans plus rock et même quelques touches dark cabaret. On est également intrigués par des codes visuels forts : du noir et blanc, une esthétique militaire héritée des Clash et des photos et clips aux partis pris graphiques souvent très forts (à ce titre, si Heartworms est avant tout un projet solo, on peut en voir le photographe et réalisateur Gilbert Trejo comme le deuxième membre tant son travail accompagne la musique).

Après sa courte introduction, Glutton for Punishment commence avec une danse. Just to Ask a Dance pose les bases, se prélasse dans les ombres de PJ Harvey, Siouxsie Sioux et Depeche Mode tout en imposant une urgence post-punk fiévreuse. Il y a une forme de théâtralité apocalyptique dans la façon dont Jojo Orme chante ses peines, ses doutes et mêle l'intime à une forme de distanciation ironique. Intense, à la limite de la crise d'angoisse, Jacked hypnotise et obsède et si la fièvre monte la température, elle, baisse alors que l'horizon s'assombrit. Les guitares grimacent, Heartworms laisse les dissonances entrer et tordre la réalité tout en nous collant en tête des rengaines accrocheuses, assumant une orientation pop catchy comme pour mieux se distancer du tiroir "post-punk" où elle refuse d'être rangée trop vite.

Dans ce numéro d'équilibriste entre explosions expressionnistes et minimaliste intime, Heartworms nous plonge dans un labyrinthe monochrome personnel où le facile à assimiler ne rassure pas (Mad Catch, dont la basse pleine de pluie grise noircit un texte récité comme une comptine, l'entêtante poésie du final d'Extraordinary Wings). Hallucinations électroniques insaisissables comme un cauchemar, lignes de chant fédératrices, rigueur de façade et dérèglement aux airs d'effondrement intérieur : c'est quand Heartworms mélange les tons et les textures pour mieux nous égarer que l'on est le plus conquis (le refrain de Warplane, à la fois galvanisant et angoissé, la conclusion de Smugglers Adventure).

On devine que Glutton for Punishment est un disque à l'image de sa créatrice : multiple, tourmenté, parfois viscéral, parfois glacial, parfois sincère, parfois ironique. On en apprécie le tourbillon d'idées et d'influences, surtout quand tout se mélange avec fracas et que Jojo Orme laisse sa folie et ses ombres prendre le contrôle pour mieux nous emporter avec elle dans cette tempête de créativité. C'est quand elle est plus radicale et possédée que la proposition fonctionne le mieux, que ce soit dans le malaise ou le réconfort, le catchy ou l'effrayant. Nous donnant l'impression d'errer dans la psychée de l'artiste, ce premier album fait preuve d'une identité affirmée, d'une énergie et d'une élégance rafraîchissante... Alors laissons Heartworms nous parasiter, nous infecter et prendre contrôle de nos âmes, ce n'est pas comme si on avait mieux à faire avec.