HERRSCHAFT est de retour, enfin. Après une première partie de carrière fracassante, imposant un mélange puissant entre black metal et metal industriel, le groupe parisien avait été obligé de se remettre en question avec le départ de son chanteur, M[z]X (c'est chaud à dire à haute voix). Médusé, le public découvrait en 2015 How Real Men Do et son clip totalement barré, annonçant peut-être une orientation plus fun de la part de la bande recentrée sur le duo formé par Max et Zoé qui, en réalité, n'a jamais été bien loin : le public parisien les connaît par cœur tant ils sont devenus incontournables au fil des ans. Allez, Le Festin du Lion est enfin sorti, ceci est mon corps, ceci est mon sang, à table, on mange !
Un beat frénétique, un break étonnant avec des chœurs enfantins, des gros riffs méchants qui prennent le pas sur l'électronique pour une fin de morceau où un synthé perché essaye de respirer sous toutes ces couches : TechnoSatan est l'entrée en matière percutante et rentre-dedans que l'on attendait. La voix de Max n'est peut-être pas aussi incisive que celle de son prédécesseur, mais son côté guttural et rugueux amène une théâtralité nouvelle, un côté un peu mégalo démonstratif et jouissif qui sied à merveille au propos. All hail Techno Satan ! Le public connaît depuis un moment How Real Men Do, le morceau par lequel HERRSCHAFT annonçait sa nouvelle orientation, moins imprégnée de metal extrême, avec une humeur festive évidente, plus cynique aussi. La mélodie entre en tête immédiatement, le refrain est irrésistible, les guitares énormes, on se dit qu'on a droit au single bien con et rigolo... Jusqu'à cet incroyable passage au piano signé François Duguest qui conclue le morceau avec une envolée à la fois surréaliste, élégante et poétique. HERRSCHAFT flirterait presque avec l'avant-garde et, en deux morceaux, a posé le décor : Le Festin du Lion sera un album certes efficace et fédérateur, mais surtout, totalement barré. Les bases sont là, mais renouveau il y a bien eu.
En effet, ça déborde d'idées. Derrière la frontalité et l'agressivité des compos (But All I Know, entre ses riffs assassins et ses lignes de chant dégueulées, est monumentale), derrière le soucis de faire remuer le public en live, il y a toujours un soin tout particulier apporté aux détails, aux ambiances. Plus théâtral et mystique, HERRSCHAFT s'amuse à utiliser les figures de Dieu et du Diable (comme sur The Great Fire, morceau à l'énergie folle auquel le Shaârghot vient ajouter sa démence) pour mieux critiquer l'humain dont les actes mettent les démons au chômage (Satan et son assistant semble bien désœuvrés sur la pochette de l'album).
Zoé et Max se sont entourés d'autres artistes, proches collaborateurs, développant autour de leur groupe un véritable collectif : non seulement, Le Festin du Lion est riche de toutes les idées qui ont eu le temps de mûrir au cours des six dernières années, mais il l'est également grâce aux personnalités qui s'y greffent. On note l'apport malsain d'El Worm de WORMFOOD sur le morceau-titre, chanté en français, mais aussi l'émotion qui se dégage tout particulièrement de la fin du disque. Entre The White Russians, morceau à la fois festif et poignant (avec la participation de Baptiste Bertrand de öOoOoOoOoOo (CHENILLE)), et ce final incroyable sur Hate Me chantée par Jessy de SYNDRO-SYS et Dany Boy de JE T'AIME dans un registre electro-goth froid totalement inattendu, HERRSCHAFT s'amuse à non-seulement nous adresser un pied-de-nez appréciable mais fait preuve d'une sincérité et d'une liberté qui font plaisir à entendre. Finir là-dessus, aussi loin de là où tout a commencé, il fallait oser.
C'est d'ailleurs ce que l'on retient le plus du Festin du Lion, cette liberté qui permet au groupe d'exprimer ce qu'il veut, comme il le veut et avec les artistes qui lui sont chers. HERRSCHAFT, au-delà des grosses guitares qui envoient, derrière les beats catchy, derrière les postures grotesques et cyniques et derrière les confettis, laisse entrevoir la générosité de son âme et une honnêteté touchante.