Mat McNerney ne s'en est jamais caché : Hexvessel est probablement son projet le plus personnel, celui qui lui ressemble le plus, lui qui vient du metal extrême et s'épanouit désormais également dans le groupe de post-punk / gothic rock Grave Pleasures depuis bientôt quinze ans. On y retrouve son goût pour l'avant-garde et le mélange des genres mais aussi cette touche mystique avec une nature omniprésente, une saveur ancestrale et fascinante que l'on doit également à sa voix si particulière et ses intonations de narrateur. L'album Kindred a trois ans et ses teintes automnales ont laissé place à l'hiver de Polar Veil dont l'artwork évoque déjà (presque) tout ce dont il sera question : la nuit, le froid, les grands espaces, les esprits. McNerney a enregistré depuis un studio qu'il a construit lui-même en pleine forêt, expliquant que la nature représente pour lui "l'obscurité et la liberté", ajoutant que "la tradition, la nature, le rituel, la mythologie, le mysticisme et la philosophie, ainsi que le choc des accords ont toujours été synonymes d'Hexvessel". Le ton est donné.
Ce nouvel album d'Hexvessel marque cependant une évolution majeure : McNerney tanguait déjà entre rock progressif psychédélique et dark folk et évoquait dans sa musique aussi bien Nick Cave que Dead Can Dance ou les Pink Floyd. Polar Veil assume un virage plus metal, entre black atmosphérique et doom. Les guitares installent un brouillard pesant dès The Tundra is Awake et l'on apprécie le contraste qui se crée entre le chant, chaud et clair, et les cordes glaciales et lourdes. Cette atmosphère nocturne a beau regorger de mystères inquiétants, le souffle qui s'en dégage évoque les grands espaces : on frissonne, mais on respire. Incantatoires et hypnotiques, les mélodies de chant et les rythmiques guident le rituel, imposant un tempo lent rarement secoué. Ainsi, l'apparition d'Okoi de Bölzer sur Older Than the Gods, le virage plus épique et conquérant emprunté par Eternal Meadow, peut-être le titre le plus ouvertement metal de l'album, ou encore la conclusion plus chaotique sur Homeward Polar Spirit font office de turbulences au sein d'un ensemble globalement homogène, y compris dans sa grande variété d'influences.
Il s'en dégage une impression de force immuable, un monolithisme qui impressionne et envoûte. Polar Veil est d'une beauté noire fascinante dont on retient tout particulièrement la tension gothique d'A Cabin In Montana où brille comme jamais le talent de conteur de Mat McNerney, dont l'expressivité est soulignée par des guitares acérées, ou encore la pesanteur de Listen to the River à laquelle participe Ben Chisholm, multi-instrumentiste et producteur de Chelsea Wolfe (il n'est d'ailleurs pas interdit de repenser ici au projet BloodMoon avec Converge, dont on aurait extrait l'ADN hardcore). Ses claviers fantomatiques qui hantent la dernière partie sont délectables. En alourdissant son propos, Hexvessel ne le trahit pas. Les Finlandais ne font que pousser plus loin leur musique qui y gagne une intensité et une densité nouvelle, un corps qui embrasse pleinement ses dissonances et ses parts d'ombre. La chose est flagrante en réécoutant les plus anciens titres ensuite : on a l'impression que cet arrière-plan entre black metal, gothique et doom ne demandait qu'à surgir des ombres. Si la veillée funèbre est ainsi moins feutrée, l'auditeur se retrouve trimballé entre l'élévation à laquelle tend le chant et le propos d'un côté, et l'aspect très souterrain et écrasant des guitares de l'autre.
Hexvessel reste reconnaissable immédiatement, en grande partie grâce à la théâtralité de son chanteur, et sa réinvention brillante est finalement aussi surprenante que naturelle tant Polar Veil apparaît comme une synthèse des talents de son auteur. Si l'on peut trouver dans cette longue incantation certaines répétitions, on trouve aussi dans sa lourdeur menaçante une homogénéité qui garantissent une écoute cohérente et un sentiment constant de fascination. Noir et épais comme la nuit, d'un froid polaire, Polar Veil est un album poétique et mystérieux parfait pour les longues nuits à venir.