IHSAHN est un projet passionnant à suivre. D'une créativité folle, le frontman d'EMPEROR ne se contente pas de repousser avec succès les barrières derrière lesquelles on voudrait parfois l'enfermer, il le fait avec une régularité impressionnante. Arktis a tout juste deux ans, et Àmr en est déjà le successeur. Rôle délicat tant l'album sorti en 2016 sortait l'auditeur et l'artiste de ses zones de confort pour, paradoxalement, prendre une direction plus accessible qui en a laissé certains sur le carreau. Pourtant, le disque était fou, plaçant Àmr dans une position délicate : IHSAHN va-t-il oser pousser le bouchon plus loin encore ?
Oui. Bien sûr, évidemment, mille fois oui. Il suffit d'une poignée de secondes pour s'en rendre compte avec ce synthé qui nous prend par la main et ouvre l'album avant que la voix rugueuse du chanteur ne résonne, emplie de noirceur, invitant le chaos dans ce Lend Me the Eyes of Millenia qui, déjà, bouscule nos repères avec sa boucle synthétique et sa batterie infernale qui nous mène à un final aux influences black évidentes. C'est sombre, intense... et déjà clivant. Arcana Imperii nous ramène en des terres plus familières avec un morceau de metal progressif excellent plus classique, où l'on peut entendre la guitare chaude de Fredrik Åkesson (OPETH), et surtout, ce refrain en voix claire qui, n'en déplaise aux boudeurs les plus obtus, aurait aussi bien sa place dans une comédie musicale. Le grand écart marche du tonnerre, faisant voler en éclat les frontières entre musiques extrêmes et accessibles, décloisonnant les unes comme les autres.
C'est cette volonté de s'affranchir des étiquettes, cette ouverture constante qui fait tout le sel de IHSAHN. Tant que ce projet aura ce souffle et cette liberté, il restera vivant. Si sur Arktis, vous grinciez des dents à l'écoute du tube ultime qu'était South Winds, ou que les refrains pop de GHOST vous donnent des boutons, stoppez immédiatement l'écoute : le refrain de Sámr et son solo à la frontière du cheesy pourrait avoir raison de vos sourcils les plus froncés. Au fur et à mesure des titres, Àmr révèle ses nombreuses richesses sans ne jamais céder à la paresse : aucun titre ne semble facile ou peu inspiré, chaque élément inattendu arrive avec cohérence sans ne jamais donner l'impression d'un patchwork gratuit et vain. Réservant des purs moments de ténèbres (One Less Enemy, Marble of Soul et son côté prog à la OPETH récent, Wake), Àmr est en équilibre parfait et délicat entre les différentes aspirations de l'artiste Norvégien. Il donnait des sueurs froides à certains en évoquant des inspirations hip-hop sur le disque : on ne va pas vous mentir, IHSAHN ne fait pas encore du KAARIS, et pourtant on comprend ce qu'il voulait dire à l'écoute de l'instru électronique sur le premier couplet scandé de In Rites of Passage.
C'est en fin de disque qu'IHSAHN atteint des sommets d'audace, tout d'abord avec la superbe Marble of Soul et son chant clair très pop en dernière partie, épique et expressif. C'est maîtrisé, c'est beau, et ça arrive comme un pansement après les ténèbres que dégage le reste du morceau. Mais ce n'est rien comparé à Twin Black Angels et son incroyable refrain absolument irrésistible et communicatif : le voilà le hit absolu de l'album, la grande comédie musicale dansante, la chanson Disney version dark. Les grognons resteront les bras croisés à ronchonner, les autres se dandineront avec joie. Le kitch ? Bien sûr qu'on est en plein dedans, et ça serait absolument grotesque si ce n'était pas aussi bien foutu, aussi jouissivement génial. Comme quoi, un boys band black-metal ça pourrait marcher à mort (bon, ok, il y a déjà IMMORTAL).
Àmr désigne le temps en gaélique. Et le temps passe bien trop vite à l'écoute de l'album. C'est forcément le risque quand les morceaux regorgent d'autant d'idées géniales, de trouvailles enthousiasmantes. IHSAHN propose un album totalement décomplexé, affirmant son refus de se vautrer dans la facilité, où influences black-metal, pop, jazz et électroniques se mêlent avec élégance. L'extrême noirceur devient accessible et séduisante alors que ce qui pourrait sembler facile et rassurant dissimule une inquiétante noirceur. Àmr est à la fois une synthèse et le paroxysme de l'oeuvre de IHSAHN : un disque brillant et clivant, d'une intelligence et d'une richesse rare qui ose, innove et chamboule. Et cette tornade de fraîcheur fait un bien fou !