En moins de six ans, le trio parisien JE T'AIME en est déjà à son quatrième album. Une allure frénétique qui va avec une attitude : la fuite en avant, ne pas s'arrêter, foncer pour ne jamais être rattrapé par son passé (et si possible essayer en route d'attraper le présent, ce truc que l'on essaye de vivre mais qui passe son temps à mourir). Entre références cold wave classiques et renouveau contemporain, JE T'AIME a imposé un style, une façon de faire démonstrative, excessive, dansante, agressive... mais également sincère et touchante, trouvant une forme d'élégance poétique dans son insolence. Évacuons tout de suite les questions nulles et les formules paresseuses : non, Useless Boy ne sera pas "l'album de la maturité", loin s'en faut, et c'est tant mieux.
C'est même tout le contraire : le syndrome de Peter Pan que l'on ressentait déjà si fort dans le diptyque PASSIVE / AGGRESSIVE et ce rejet de la réalité via une danse étourdissante éternelle sont plus que jamais au cœur du propos. JE T'AIME a conscience de ses failles mais plutôt que d'apprendre de ses erreurs et de chercher à les rectifier, choisit de les brandir fièrement en un bras d'honneur romantique aux convenances. Le sens du too-much théâtral, du geste audacieux d'anti-héros maudits, du clinquant tragique : Nightcrawler nous cueille avec une approche ouvertement electro-pop décomplexée et un chant plus haut perché que jamais dont l'entrain ne cache pas entièrement la mélancolie des synthés.
Quel est le moteur de JE T'AIME, qu'est ce qui les pousse à enchaîner les disques ? Unbroken Sleep et son mélange entre post-punk et synthwave est un pont étrangement cinématographique entre les époques, une complainte rétro-futuriste convaincante. Ont-ils envie d'expérimenter de nouvelles choses, de nous raconter de nouvelles histoires ? Comme tant d'auteurs, JE T'AIME tient aux mêmes thèmes, aux mêmes obsessions et leur expression prend alors des airs de confession, de thérapie cathartique, d'exorcisme. Regrets, quête de liberté instantanée qui ne fait que construire les murs d'une nouvelle prison... Les danses mutent en cauchemar expressionniste porté par le chant de Daniel Armand alias dBoy, à la fois interprète, acteur et âme en peine. Les fantômes finissent d'ailleurs par nous rattraper dès que la cadence ralentit, le temps d'un morceau-titre hanté et funèbre, du minimalisme désespéré et un peu halluciné de Wrong Fold et ses touches IDM qui contrastent avec sa guitare acoustique, de la crépusculaire Letters From Hell ou encore de Stories Not Told, superbe conclusion froide et mélancolique tourmentée par les échos Curiens de One Hundred Years. JE T'AIME nous avait habitués à des élans torturés poignants, Useless Boy en regorge.
N'allez pas imaginer qu'on ne vient que pour pleurer : entre temps, les guitares auront suinté toute leur tristesse mais on aura remué nos popotins fiévreusement avec Dead Leaves et sa nostalgie entêtante ou Whispers (Lost in the Echoes) et son post-punk paniqué. En poursuivant ses spirales, JE T'AIME continue d'approfondir son propos et sa démarche, dont la vanité et la superficialité apparaissent finalement comme une vitrine pudique : une superficialité de surface, en somme. Dans son refus de grandir, le groupe continue d'approfondir son propos et propose fnalement son album le plus abouti, apogée ses explorations. Après tout, oui, ce sont des "Useless boys" : ils ne servent à rien, mais ils ont bien compris que si l'on nait, ce n'est pas pour "servir", c'est pour mourir.