Chronique | Jerry Cantrell - I Want Blood

Pierre Sopor 22 octobre 2024

Il aura fallu près de vingt ans à Jerry Cantrell pour revenir à sa carrière "solo", probablement occupé à la reformation de Alice in Chains entre Degradation Trip en 2002 et Brighten en 2021. On était donc surpris d'apprendre l'arrivée d'I Want Blood, seulement trois ans après son prédécesseur, mais une certaine appréhension naissait alors dans nos esprits : on a beau adorer Jerry et avoir pour lui le plus grand respect, son Brighten bien trop solaire ne nous avait pas laissés un souvenir impérissable. Entouré de Gil Sharone (Stolen "c'est quand vous voulez que vous ressortez un truc" Babies, Team Sleep) et Mike Bordin (Faith no More) à la batterie, Robert Trujillo (Metallica) et Duff McKagan (Guns'n'Roses) à la basse, Greg Puciato (ex-The Dillinger Escape Plan) et Lola Colette aux chœurs et harmonies vocales, Cantrell a un gang solide qui se partage les morceaux de l'album.

Avec un titre comme I Want Blood, les espoirs sont permis et l'artwork vient d'ailleurs souligner un retour à plus de noirceur. Tant mieux. Vilified rassure d'emblée : la voix de Cantrell n'a rien perdu de sa magie, les riffs sont hargneux, ça suinte de colère contenue et d'un accablement écrasant. On n'en doutait pas mais voilà une nouvelle preuve qu'Alice in Chains est Jerry Cantrell : on retrouve là ces mêmes guitares poisseuses, gluantes, dans lesquelles on a plaisir à s'empêtrer. Ces mêmes sables mouvants de spleen qui alourdissent le groove d'un rock crasseux. Cantrell précise : "je ne suis peut-être plus le jeune homme brisé et terrifié que j'étais à l'époque de Dirt, mais de sombres nuages me suivent toujours".

Méchant et menaçant, I Want Blood rappelle régulièrement l'humeur de Degradation Trip, avec un supplément de maturité. Quand le rythme s'apaise, ce n'est pas pour nous rassurer : Afterglow, plus qu'une éclaircie, a des airs de renoncement sans pour autant que le sinistre ne prenne le pas sur le sens de la formule accrocheuse. Quand, vers la moitié du morceau, Cantrell semble se répondre à lui-même, les frissons ne sont pas loin. Ce rescapé de la scène grunge de Seattle se permet d'être plus incisif ici que sur Brighten, certes, mais aussi plus mordant qu'avec Alice in Chains à l'image d'un morceau-titre rentre-dedans.

C'est pourtant, comme toujours, dans l'équilibre qu'on le préfère. Dans sa maîtrise des nuances, dans sa façon d'associer des riffs qui grattent à un désespoir écrasant, dans l'association de l'apathie et de l'explosion, dans ce brouillard doux-amer vaguement halluciné, Jerry Cantrell est au sommet. Son âme rampe et hante chaque recoin d'I Want Blood et des morceaux comme It Comes ou Let it Lie convoquent bel et bien d'épais nuages noirs dans lesquels on apprécie de se prélasser, bien à l'abri de la moindre éclaircie. Plus homogène, plus recentré et cohérent que le massif Degradation Trip, au risque peut-être d'en oublier parfois de respirer, il n'est pas interdit de dire de I Want Blood qu'il est le meilleur travail de Cantrell depuis le magistral Black Gives Way to Blue d'Alice in Chains en 2009.