Se retirer progressivement et tendre vers l'infiniment petit pour finalement se relier à une migration intérieure, et dresser un chemin vers l'humanité. Les mots à peine écrits ouvrent alternativement d'autres significations, puis d'autres, prêts à éclore. L'envie de se carapater le plus loin possible. Il y a des musiques qui vous transporte tel un vaisseau à la surface de l'eau. Un sanctuaire que Joanna Gemma Auguri a préservé du flétrissement d'un monde moribond.
L'univers musical de Joanna Gemma Auguri pourrait être l'illustration des livres de Cormac McCarthy, par ses textures sonores mais tout autant par ses textes enracinés dans un rapport sensoriel, de tonalités héritées de plusieurs siècles, un portrait fragmenté dans une forme d'ascendance, qui prend aux tripes. Par sa musique, elle pose l'hypothèse d'une âme vivante au-delà de la vie, se construire avec ce qui nous manque le plus. Break Out est une libération du corps et de l'esprit. Joanna ne se contemple pas dans son reflet, mais dans une étreinte totale, elle embrasse l'immensité. Les chœurs qui accompagnent All You Can Eat sont comme des violons dont les crescendos montent vers la nef d'une cathédrale, pour se propager ensuite vers les chapelles rayonnantes.
Les troubadours des temps modernes ne se sont pas conformés aux tendances actuelles et ne se sont pas livrés à une quelconque nostalgie de leurs prédécesseurs. En périphérie, une nébuleuse composée de chantres folk (Sol Hess, Regular Girl) qui s'investit dans une toute autre vocation, renouer avec l'essence même de la musique acoustique. Joanna n'a pas remisé son accordéon, instrument qui dans le registre dark folk est un catalyseur de dissonances que l'on retrouvait déjà dans 16 Horsepower. De Berlin où elle réside, Joanna incarne le désenchantement autant que l'étrange beauté qu'il faut déterrer des profondeurs pour qu'elle puisse jaillir dans son essence la plus pure. On croit entendre Emily Jane White et tout un pan du dark folk (Petra Hermanova) qui se répand comme de l'encre sur une toile. La tension instrumentale que l'on percevait est à son paroxysme, Little Bird parvient à nous délivrer de notre environnement. La voix de Joanna plane sur un piano majestueux. Les arrangements musicaux sont proches de ceux de Mark Hollis, dépoilés, sans aucune fioritures, Ingo Krauss (ex-Trans Am) restitue la pureté du cithare, le détail de chaque corde à tel point que Alone nous semble être la confession la plus belle qui soit, et surtout la plus humble (il en est tout autant du dernier titre de l'album dont je vous laisse le soin de découvrir le titre).
Isle of Longing débarque avec des cuivres, ces derniers sont le vaisseau qui mène vers un abri, une bulle qui ne se dégonfle pas puisqu'elle englobe tout, comme des cercles solidifiés par le souffle expansif qui permet de naviguer. Le même zéphyr qui gonfle les voiles, les cordes vocales. C'est dans Circles que Joanna condense toute la douceur et la force de sa musique, on côtoie la musique liturgique de Lingua Ignota.
Hiraeth est un disque de tous les instants, automnal avant d'être hivernal, une renaissance, cycle de la nature. Incontestablement, l'album le plus abouti et le plus baroque dans son expression. On ne perd pas une seule goutte de cet élixir qui entrouvre les portes d'un ailleurs, indescriptible.