K.F.R est un projet fascinant : œuvre du seul Maxime Taccardi, l'univers proposé est aussi singulier que cauchemardesque. Les dessins de l'artiste accompagnent une musique d'une noirceur abyssale, expression de tourments violents et à aucun moment aseptisée par un formatage quelconque ou une production trop lisse. On hésite même à coller à K.F.R cette étiquette de black metal tant le résultat apparait comme la concrétisation d'émotions négatives, un brouillard malsain et intime qui vient des tripes.
Travailler seul, ne pas donner de concerts : une façon de faire qui permet à Taccardi d'assurer un rythme de sortie intimidant. Nihilist arrive seulement un an après les albums Démonologue et L'Enfer à Sa Source, qui eux-mêmes arrivaient après deux albums sortis l'année précédente. Entre temps, il y a eu un album de GRIIIM, side-project noise / hip-hop tout aussi déstabilisant dont une suite ne saurait tarder. Ue productivité qui ne dilue en rien la qualité du travail du monsieur, comme on s'en rend vite compte dès Ô Mastema : des borborygmes démoniaques et une marche funèbre dissonante nous plongent immédiatement au cœur d'une œuvre marquée par la folie, la souffrance et le chaos.
Ici, on ne joue pas. L'artiste sort ses tripes (littéralement, même : Taccardi utilise son sang pour ses illustrations) et la catharsis vire au traumatisme. Il se dégage une aura sulfureuse de cette musique torturée, jamais facile, jamais agréable. Point de salut dans Nihilist. Mais surtout, K.F.R ne donnant pas de concerts, ces titres ne seront plus jamais joués. Ils résonnent à nos oreilles comme les échos de tourments passés : chaque piste de Nihilist est un fantôme cruel et dangereux, manifestation d'une émotion négative et violente qui, après son exorcisme, continue de nous hanter.
L'album, lui, derrière ses airs de magma putride, apparait pourtant comme une synthèse variée de l’œuvre de Taccardi. Insect Boy et ses airs conquérants laisse place à des expérimentations électroniques sur Mastema, Ruler of Larvae et ses basses hip-hop surprenantes et angoissantes. On flirt avec le noise, l'ambiance est irrespirable et la voix de Taccardi sonne comme une nuée d'insectes grouillants, multitude insaisissable et incarnation du Mal à l'état pur. Oui, K.F.R fait peur. Ce n'est pas pour rien si son nom vient de l'arabe kâfir, le mécréant, mot inscrit sur le front de Dajjâl, l'Antéchrist de l'Islam : dans cette religion, les démons sont encore bien réels et font trembler les fidèles bien plus que le diable chrétien.
I'm a Sick Painter, avec ses parties ambiantes hallucinées, sa guitare qui sonne de nouveau comme un présage lugubre et ses immondes gargouillis aigus est un nouveau grand moment d'angoisse pure, mais c'est peut-être avec All I See is You que K.F.R nous surprend le plus. Les désespoir qui suinte de cette mélodie est poignant, mais la répétitivité de ces quelques notes finit par évoquer un schéma dans lequel un esprit malade se retrouve piégé : il est question de schizophrénie ici, et les grognements démoniaques laissent leur place le temps d'un morceau à quelque chose de plus humain, fragile même. On ne s'attendait pas, au milieu de cet Enfer de mouches, de larves et de sang, à être touché. On ne s'attendait pas non plus à trouver K.F.R facétieux : il y a pourtant un coté jouissif dans sa façon de pervertir Beethoven avec ses vociférations grotesques au milieu de samples, de sons de sirènes lors de l'apocalyptique final It's Not Over Yet (The Raping of Symphony 7).
On sort donc secoué de ce Nihilist. Projet décidément unique, K.F.R. propose dans sa musique un concentré de négativité et de noirceur, allant puiser dans ce qui fait l'essence même du black metal. Pourtant, en corrupteur fou, il propose une musique mutante et déviante, un truc malade qui a dérivé de sa course pour se transformer et devenir autre chose et échappe à toute étiquette.