Le parcours de Kalandra est assez atypique : il aura fallu presque dix ans pour que le groupe, fondé en 2012, sorte son premier album The Line en 2020. Puis, l'ascension fût fulgurante, profitant bien sûr de l'engouement actuel pour tout ce qui est étiqueté "nordic folk". Pour le profane, c'est d'ailleurs avec scepticisme que l'on se plonge dans l'univers du groupe Norvego-Suédois : on croit, à tort, déjà les connaître et ne rien y trouver de plus que ce que l'on a déjà entendu chez Myrkur ou Eivør.
Il ne faudra qu'un morceau à ce second album, A Frame of Mind, pour rappeler ou démontrer toute la singularité de Kalandra. Avec I Am, judicieusement placé en début d'album comme une note d'intention, le groupe propose une belle synthèse de ce qui va suivre. La voix de Katrine Stenbekk suffit à remplir l'espace et à capter l'attention avec une délicatesse pop douce-amère qui véhicule espoirs et mélancolie et opte ici pour l'anglais, comme pour nous accueillir plus facilement. Puis, petit à petit, le son s'épaissit, les guitares s'alourdissent et invoquent des tempêtes de spleen quasi doom : Kalandra a tourné avec des artistes aussi divers que A.A. Williams, Wardruna et Leprous et l'on comprend facilement comment.
C'était déjà le cas dans The Line, c'est encore plus valable avec A Frame of Mind : si Kalandra ne fait plonger qu'avec parcimonie son folk nordique vers des abîmes plus mouvementés, cela suffit à apporter le contraste et le relief nécessaire pour garantir une traversée sans lassitude. Ainsi, Bardaginn et ses touches progressives quasi mystiques à la Tool est, en milieu de voyage, un grand moment de tension fascinant. Kalandra nous plonge dans les ombres tout en fournissant la lumière nécessaire pour naviguer en sécurité, antidote de leurs propres ténèbres.
A Frame of Mind est un album qui apaise et guérit, que ce soit dans le rock sombre et romantique d'Are You Ready? ou les élancements lumineux d'I'll Get There One Day. Le temps s'arrête, on se pose, on respire et surtout on se laisse embarquer sans peine dans cet ensemble où l'on alterne entre intensité crescendo et sérénité tout en nuances, à l'image de ce final où, après avoir escaladé Segla et son emphase presque théâtrale assez conclusive, Kalandra nous réserve avec I Remember A Time un final sobre et intimiste au coin du feu. A la fois familier et déstabilisant, ce second album s'amuse à nous perdre sans jamais nous lâcher la main, fragile bulle contemplative et élégante qui semble toujours sur le point d'éclater mais poursuit vaillamment sa route, nous enveloppant de sa chaleur malgré la froideur des paysages scandinaves évoqués.