Il n'a pas fallu bien longtemps à Kanonenfieber pour se faire remarquer, le projet allemand pouvant compter sur un concept solide et un visuel spectaculaire en concert, avec costumes et pyrotechnie. La Première Guerre Mondiale, déjà explorée par le metal extrême avec des groupes comme God Dethroned ou 1914, pour ne citer qu'eux, est un terrain de jeu tout désigné : les horreurs, le sang, les tranchées... il y a de quoi faire pour ce one-man band qui se transforme en escadron sur scène. Anonymes et masqués, les membres de Kanonenfieber évoquent ainsi la figure du Soldat Inconnu et dénoncent les atrocités de la guerre.
Die Urkatastrophe reprend là où Menschenmühle nous avait laissés, gisant dans la bouillasse. Comme pour affirmer ce lien, une fois l'intro passée, le premier titre porte à nouveau le nom de ce premier album. Noise, le cerveau derrière Kanonenfieber n'y cache pas ses intentions et y dénonce l'addiction au meurtre d'une Allemagne belliqueuse... Si Kanonenfieber ne réinvente ni le genre ni sa propre formule, il y a largement dans ce second album de quoi convaincre, sa plus grande force restant à nouveau son approche très rythmique qui confère à l'album à la fois sa puissance martiale mais aussi sa brutalité insensée qui lorgne plus encore vers le death metal et retranscrit en musique la folie des combats (l'énergie épique de Gott mit der Kavallerie, le passage à tabac de Ausblutungsschlacht). La musique gagne en puissance et prend alors une dimension physique intense, au milieu de scansions possédées.
Samples, chœurs galvanisants (Sturmtrupp), sound-design (les sons de pelle ou de pioches en intro de Der Maulwurf - la taupe - qui nous font ramper sous terre)... Kanonenfieber n'y va pas de main morte pour proposer un ensemble immersif. Le chant de Noise, monstrueux, suinte de haine et la puissance des assauts répétés, frénétiques, est amplifiée par une production claire qui rapproche Kanonenfieber des blockbusters du genre (il y a des explosions en live, wouah, et Panzerhenker est une boulet de démolition !). Pourtant, au sein de cette frénésie, on décèle aussi quelques touches mélodiques (Waffenbrueder), une ambiance sinistre qui dégouline de passages plus pesants alors que, parfois, la guitare résonne comme un présage funèbre. La conclusion folk en voix claire Als die Waffen Kamen appuie ce parfum presque mélancolique : dans les ruines et au milieu des corps mutilés agonisants, Kanonenfieber pleure aussi l'absurdité de tous ces jeunes broyés pour rien, de quoi nous hanter avec un parfum de mort qui perdure au-delà de l'écoute de l'album.
Efficace et grandiloquent, Die Urkatastrophe réussit un grand écart entre d'un côté un son accrocheur et accessible grâce à sa variété, ses richesses et une production qui ne malmène pas spécialement l'auditeur, et de l'autre un propos sans merci ni espoir, tout comme Kanonenfieber associe recherches historiques et grand spectacle. Il y a l'ossature, imposante et massive, mais aussi l'âme, tourmentée : au-delà des étincelles et des flammes, Kanonenfieber est un rouleau-compresseur aussi jouissif sur la forme que déprimant sur le fond et qui va au bout de sa démarche. On n'a pas fini de patauger dans les charniers de la "Der des Ders".