Derrière KIBERSPASSK (nommé d'après un village abandonné en Sibérie) se cache Natalya Pahlenko, moitié du duo NYTT LAND (folk chamanique), qui prend ici l'identité de la terrifiante Baba Yaga pour mélanger folklore sibérien et electro dark, s'inspirant autant de la froideur de son pays que des aspects les plus sombres de ses légendes. See Bear (jeu de mot avec Сибирь, "Sibir", la Sibérie en russe), premier album de KIBERSPASSK, est sorti via le label Out of Line, ce qui devrait garantir une certaine visibilité à un projet qui a pour ambition de chambouler les codes d'un genre trop souvent figé.
Il est vrai que chez KIBERSPASSK, on est bien loin du moule HOCICO-SUICIDE COMMANDO duquel sont sortis tant de groupes durant les années 2000. Point de chuchotements distordus et mélodies minimalistes sur fond de rythmique tubesque ici, mais à la place une alternance entre une voix claire à l'innocence enfantine pas si rassurante que ça et un chant de gorge emprunté aux steppes mongoles. Kikimora, avec son texte déclamé à la façon de mantras tient plus de l'invocation et incorpore, via de discrètes cordes, des sonorités folk rarement mélangées à l'indus (si le chant de gorge version industriel vous parle, jetez donc une oreille du côté de ZEISTENCROIX).
Le mélange d'influences européennes et asiatiques donne vie à des figures peu connues chez nous, ou, paradoxalement, parfois popularisées par des oeuvres non-russes (combien de films d'horreur, jeux vidéos ou comics made in USA récupèrent la Baba Yaga ?). On peut s'amuser à partir en quête des Likhos, Kikimores ou autres Demovoi sur google pour en apprendre plus au son de morceaux comme Bury Me, la mélancolique See Bear ou Domovoy et son intensité folle qui mélangent de façon naturelle ces influences folkloriques à la lourdeur des machines. KIBERSPASSK pourrait se situer à un croisement entre leurs compatriotes d'ICEP3AK et de :WUMPSCUT: tout en étant un prolongement logique de NYTT LAND.
La proposition fonctionne et ne manque pas d'identité, bien au contraire. See Bear est un album souvent rapide, rythmé par l'agressivité de l'électronique (l'effrénée Derevna, la puissante Babai), sans jamais (ou presque) céder pour autant à la facilité du hit dancefloor traditionnel du genre. On en vient peut-être à regretter que les morceaux comme Liho, plus lent et atmosphériques, ne soient pas plus nombreux pour installer une ambiance de nuit froide et pleine de terreur propice aux histoires inquiétantes.
Avec son concept original, qui séduit les tympans tout en nous intéressant à une culture trop peu connu de ce côté de l'Europe, mais aussi grâce à la musicalité de la langue russe et les différents registres du chant de notre Baba Yaga, KIBERSPASSK sort un premier album convaincant. Le pari est réussi : proposer quelque chose de neuf et d'unique dans le genre. Que nos regards restent tournés vers les toundras gelées de l'Est, car le potentiel de ce projet promet un avenir des plus intéressant.