Kill The Thrill présente cette particularité d'être un groupe discret avec une musique imposante. Guère prolifique, la formation marseillaise a fourni quatre albums entre 1992 et 2005, auxquels on peut ajouter la réédition de leurs premiers travaux sous le titre 1989 en 2015. Au fil des années, on a vu le groupe fondé par le guitariste et chanteur Nicolas Dick et la bassiste Marylin Tognolli passer du metal industriel rageur et chaotique de ses débuts à des compositions laissant davantage se développer les mélodies mais aussi plus pesantes, s'inspirant allègrement des expérimentations post-punk, évoquant fréquemment Swans ou The Young Gods, sans jamais perdre ni de sa force ni de sa personnalité. Dix-neuf ans après Tellurique, dont on avait apprécié la lourdeur, Kill The Thrill revient sous la forme d'un trio, le batteur François Rossi s'adjoignant à Nicolas Dick et Marylin Tognolli pour un cinquième opus à paraître cette année : Autophagie.
Sous sa couverture nous projetant dans l'infini du gris, Autophagie nous fait immédiatement renouer avec la tension qui a toujours été la marque de fabrique du groupe. Même s'ils sont le plus souvent à l'arrière-plan, l'album est marqué par des samples froids, instillant une ambiance anxiogène ; la guitare est bien vivante, elle, forte et incisive, elle se débat bruyamment au milieu du monde, en quête de quelque chose d'autre, accompagnée par les rythmes tout aussi organiques de la batterie, tout comme l'est le chant de Nicolas Dick, dont on retrouve avec plaisir la puissance rocailleuse, ce qui fonctionne à merveille sur les morceaux où il se fait le plus déchiré. La guitare et le chant traduisent intensément l'émotion de ce qui lutte pour vivre à travers la destruction qui hante les paroles. On reste tendu d'un bout à l'autre de l'album.
Celui-ci commence par une longue intro, la promesse Tout va bien se terminer, où l'angoisse ne fait pourtant que croître au fil de l'électronique glaciale jusqu'à ce que la guitare entre en scène ; il finit par Ahan une fois que la guitare s'est tue, morceau lui aussi froid mais d'un calme rassérénant. Entre les deux, on fonce, cherchant désespérément un autre horizon. C'est le deuxième morceau À la dérive qui est le plus violent de l'album, le plus mécanique aussi, et on l'apprécie particulièrement pour cela. Cette rage se retrouve plus loin dans l'album, sur Clusterheadache et le plus amer Je suis là. D'une façon très différente, on se laisse séduire par le fédérateur Capitan avec ses cuivres, d'autant qu'il a été doté d'un très beau clip, ainsi que par la noirceur scintillante du morceau-titre. On est un peu moins convaincus par le plus long morceau de l'album, Le dernier train, plus doux, mais du moins nous a-t-il surpris par ses sonorités.
Autophagie est donc un album d'une belle profondeur, original et puissant. Avouons que le caractère oppressant de Tellurique nous manque un peu, mais tel n'était visiblement pas l'état d'esprit du groupe ici : Autophagie est un album combatif, qui certes se fait du mal, mais le fait pour se maintenir en vie.