Du côté de KMFDM, on tient le rythme : un an et demi après la sortie de HYËNA, la bande de Sascha Konietzko et Lucia Cifarelli est déjà de retour avec une nouvelle fournée d'hymnes que l'on devine fidèle à un savoir-faire qui n'a plus rien à prouver. KMFDM a quarante ans et bien que l'on ait souvent ironisé sur leur tendance à enchaîner des albums assez similaires, le dernier en date se démarquait avec une approche plus surprenante que ses prédécesseurs, comme si KMFDM avait désormais l'age où on s'en fout de répondre aux attentes. Avec son artwork signé Aidan ‘BRUTE’ Hughes et son titre en cinq lettres, des caractéristiques qui partagent la grande majorité de ses prédécesseurs, LET GO se présente fièrement, crânement même, comme le digne héritier de quatre décennies d'ultra heavy beats et d'hybridations diverses.
Le mélange entre la lourdeur des riffs et la légèreté de l'ambiance générale, entre la diction du Käpt'n K, toujours aussi monolithique que charismatique, et un entrain générale qui pourrait presque virer à l'hymne disco, le morceau-titre a tout du single de KMFDM. Du groove, un refrain minimaliste fait pour être scandé : on s'amuse, on est en terrain familier et on sent bien que KMFDM est de la même humeur faussement détendue que ces dernières années. LET GO : le titre invite au laisser-aller. Oublions nos postures, nos idées de limites stylistiques et leurs cases étriquées, KMFDM s'amuse et touche à tout. Si ces tendances ont toujours été présentes, elles s'expriment de manière totalement assumée ces dernières années.
Il y a quelque chose de ludique, jouissif même, dans cet appétit : des cuivres piqués au reggae qui donnent régulièrement une couleur psychédélique, les touches funk corrompues par les guitares de PUSH!, l'ambiance plus menaçante de NEXT MOVE (véritable earworm) et son rap signé Andrew “Ocelot” Lindsley (déjà présent sur les deux derniers albums de KMFDM), les refrains electro-punk crachés avec fureur de WHEN THE BELL TOLLS, la pop nostalgique teintée d'ironie d'AIRHEAD, la mélancolie darkwave de TOUCH, la pesanteur pleine de morgue germanique d'ERLKÖNIG... Une fois encore, la musique de KMFDM s'enrichit d'influences variées et gagne en richesse, en diversité et en surprises stimulantes tout en s'éloignant du metal industriel bourrin et son efficacité primitive si satisfaisante. Ce n'est pas la première fois (on pense notamment au génial album NIHIL), mais on a souvent tendance à l'oublier.
On mentionnait plus haut comment le groupe chatouillait nos fibres nostalgiques avec AIRHEAD et son ode à des années 70 et 80 fantasmées pleines de consumérisme et de superficialité : on avoue préférer le retour en arrière offert en fin d'album avec WW2023. On connaît la facette plus politique de KMFDM et les voir revisiter leur titre de 2003 inspiré par les guerres de l'administration Bush a la sauce dub nous laisse avec un arrière-goût à la fois sinistre et décalé en bouche, histoire de rappeler que cette décontraction de façade n'est pas dénuée d'une certaine ironie au pessimisme apocalyptique.
C'est finalement, là encore, que réside l'intérêt principal de LET GO, dans cet équilibre si particulier entre le fun et quelque chose de plus sombre qui rôde sous la surface, entre le respect des codes de KMFDM et leurs tendances cosmopolites à vouloir tout embrasser, tout incorporer à leur musique, mais aussi dans ce renvoi perpétuel au passé, à la nostalgie, contrebalancé par une attitude tournée vers l'avant, vers les expériences et la modernité. On apprécie autant d'identifier ces guitares identifiables entre mille (mais plus en retrait que par le passé) que les audaces auxquelles elles viennent se greffer. Du côté de KMFDM, on peut désormais tout se permettre sans perdre sa cool-attitude et LET GO dégage un vent de fraîcheur intacte, une énergie presque juvénile.