KORN, réglé comme une horloge, revient encore et toujours. Le groupe originaire de Bakersfield, Californie, fait le yoyo depuis les années 2000, enchaînant les sorties, alternant entre retours aux sources plus ou moins convaincants (fibre passéïste illustrée par le retour sans réelles conséquences de Head) et tentatives d'innovations parfois heureuses, parfois moins, éveillant par intermittence l'attention d'un public qui désormais connaît la chanson.
Néanmoins, après The Serenity of Suffering, qui caressait efficacement la corde nostalgique, et après l'album solo de Jonathan Davis dans lequel il laissait libre cours à ses envies d'ailleurs, The Nothing pouvait attiser notre curiosité. Cornemuses lugubres et murmures hantés de Davis qui se muent en sanglots possédés, basse épaisse comme un parpaing : avec The End Begins, on est en terrain connu. KORN n'a rien perdu de son sens du rythme, groovy et pachydermique à défaut d'innover, et le prouve avec Cold. La surprise vient à la rigueur de Davis, agressif et guttural d'entrée. Toujours impeccable au chant, l'homme a été marqué par le décès de sa femme l'an dernier et on le devine habité par ses émotions : ses performances vocales sont, comme d'habitude, suffisamment poignantes pour justifier l'écoute d'un album entier de KORN.
Sauf que la sauce ne prend jamais vraiment. Une fois Cold passée, le single You'll Never Find Me patauge poussivement sur des routes bien trop empruntées. C'est d'ailleurs le principal soucis de The Nothing : l'album se traîne. C'est mou et convenu : on ne frissonne pas, et les tourments du chanteur n'atteignent pas nos tripes. En l'absence de connexion émotionnelle, malgré tous les gimmicks d'un leader qui, une fois encore, épuise sa palette de névroses, un ennui poli s'installe. Il reste néanmoins le jeu de batterie de Ray Luzier, impressionnant, capable d'amener aux morceaux une folie qui fait trop souvent défaut. Le reste, on l'a déjà entendu.
Pourtant tout n'est pas catastrophique : si KORN n'arrive pas raviver la flamme, ses musiciens savent toujours faire le job. The Nothing semble même demander à ses fans un peu de compassion : The Seduction of Indulgence nous pousse d'ailleurs à être plus conciliants. Cette transition minimaliste fonctionne et suscite enfin quelques frissons. Dommage qu'elle soit si courte, on aurait aimé voir ce que KORN pouvait en faire sur la durée. Néanmoins, les cordes qui lancent Idiosyncrasy et les couplets pop de Finally Free sont autant de miettes sur lesquels on peut se rabattre...
La deuxième partie de l'album provoque même quelques haussements de sourcils en variant vaguement la formule, osant s'orienter vers des contrées plus pop donc, voire expérimentales. Can you Hear Me et surtout This Loss et sa mélodie surprenante, théâtrale et aérienne, méritent qu'on y accorde plus que l'oreille mollement distraite par la tiédeur de ce qui précède. Dommage que la traversée laborieuse de The Nothing ait tant usé la patience de ladite oreille pour pouvoir apprécier pleinement du clavier qui donne à Surrender to Failure une mélancolie qui, dans un autre contexte, aurait pu autrement fonctionner. Ironiquement, The Nothing est l'album des titres explicites : "le néant", "la séduction de l'indulgence", "céder à l'échec".... Tout cela est tristement prémonitoire.
Le pire défaut de The Nothing, en fait, est de ne même pas avoir la décence d'être vraiment mauvais. Par le passé, KORN a parfois divisé ses fans avec des albums clivants (See You on the Other Side, The Path of Totality) qui faisaient preuve d'une certaine originalité et d'une remise en question du groupe. Là, à force d'hésiter, d'avoir le cul entre deux chaises, KORN ne pousse aucune de ses pistes jusqu'au bout et se contente d'une oeuvre tiède et mollassonne : c'est d'autant plus frustrant que l'on sent des idées naître mais surtout mourir avant d'avoir le temps de mûrir. Faute de réelles intentions, l'ensemble manque d'âme et The Nothing rejoindra rapidement l'album sans titre de 2007 ou The Paradigm Shift sur l'étagère poussiéreuse de ces disques sans saveurs, pas assez bons pour qu'on les réécoute mais pas assez mauvais non plus pour qu'on s'en souvienne.