Maxime Taccardi, l'homme derrière KYŪKETSUKI, K.F.R., GRIIIM et de nombreuses illustrations d'une noirceur cauchemardesque, nous a habitués à un rythme de parution élevé. Il ne passe pas une année sans que l'artiste ne sorte au moins un album, rendez-vous compte : rien que pour KYŪKETSUKI, seulement huit mois séparent Himitsu de son prédécesseur, le terrifiant Seppuku. Au point de se répéter ?
Les projets de Taccardi partagent entre eux une viscéralité poussée à l'extrême, un parfum tellement malsain que leur authenticité efface d'emblée la crainte d'une redite : quand les entrailles sont ainsi exposées dans toute putridité repoussante, il est difficile de s'accoutumer. On retrouve donc avec un certain plaisir masochiste cette lenteur théâtrale et funèbre qui, dès le morceau-titre, nous enveloppe d'un brouillard poisseux et opaque. Himitsu veut dire secrets : on veut bien croire que ceux dissimulés derrière cette brume sont cachés pour une raison et qu'aller les remuer se fait à nos risques et périls. Le mélange entre dark ambient et black metal inspiré par le Japon est toujours aussi impressionnant dans cet équilibre précaire entre l'intensité des émotions les plus noires qui y rampent et le minimalisme de l'entreprise. Ici, le black metal n'est ni conquérant ni épique : les batailles ont été perdues et il ne reste plus que les cadavres des perdants, boursoufflés et pourrissant, servant de festin aux vers et aux corbeaux. Les guitares installent cette ambiance sans excès de technique, on flirte avec la noise music parfois tant les instruments sont détournés de leur fonction musicale traditionnelle pour s'approcher d'un sound design oppressant, étouffant, duquel s'échappe parfois comme un souffle d'air une note moins torturée, plus conventionnelle (les cordes au milieu d'Akuma act 2, bref soulagement avant de mieux replonger). Taccardi se livre à une performance vocale démente, poussant toujours plus loin ses gargouillements, grognements et différentes voix monstrueuses et torturées : la souffrance et la folie suintent et avancent, sans pitié, jusqu'à s'étendre sur une durée de quinze minutes avec The Art of Death, malmenant l'auditeur, lui aussi poussé dans ses derniers retranchements. Comme d'habitude, le son est sale, sans fioritures ni ornements, même si une réverb ici ou là ou un discret jeu de spatialisation souligne un effet, apporte de l'ampleur ou, tout simplement, pétrifie d'effroi.
"We have such sights to show you" : cette célèbre réplique lancé par Pinhead dans le film Hellraiser s'applique aussi bien à Himitsu : KYŪKETSUKI y cultive l'alchimie entre plaisir et souffrance en n'épargnant rien à son auditeur. Taccardi s'est créé un univers fort si radical, si atypique, plongeant à fond dans ce qu'il y a de plus pénible à entendre, qu'il divisera forcément, encore. Pourtant, son approche singulière hautement personnelle et unique, en dépit des conventions et des attentes, est fascinante. Il saigne son art, littéralement, et extirpe douloureusement de lui ce qu'il y a de plus noir, de plus inquiétant. Dans ses démons, ses spectres, ses corps en décomposition, Himitsu est finalement un monstre superbe, répugnant et traumatisant, certes, mais aussi glorieux.