Kyuketsuki (littéralement « revenants » ou « vampires » issus de diverses mythologies) est un projet de Black Metal mêlant horreur et folklore japonais créé par Maxime Taccardi (K.F.R) dont la première démo est sorti en mai 2020. Ce nouvel album Body Horror, paru le 21 juin 2023, est comme ses prédécesseurs : teinté d’ombres monstrueuses et de sang; il est percutant, déroutant, cathartique, et contient dans tout cet aspect sinistre, une certaine beauté.
L’entrée en matière se fait avec les nappes sombres de The Flower of Guilt. On ferme les yeux et on les rouvre en enfer. Un enfer labyrinthique, entouré de sons parfois rassurants, lents, ambiants, parfois beaucoup plus bruitistes mais qui s’harmonisent parfaitement avec les funestes cris du Maître des lieux. Les sonorités ainsi que les thèmes se répondent d’un morceau à l’autre dans un lent tourbillon macabre accablant si bien qu’ils pourraient s’enchainer sans coupures, comme si tout l’album avait été composé d’une seule traite. Nous retrouvons d’ailleurs une partie des paroles du premier titre (non dénuées de poésie) sur le quatrième (Body Horror) ce qui accentue l’impression d’une boucle cauchemardesque infinie. L’immersion qui se fait dans un monde cohérent est totale. Si le titre éponyme est plus lourd, plus lancinant que les autres, The Severed Mermaid contient comme une comptine totalement dissonante, et plus tard, des notes différentes se font entendre comme les airs de flûtes qui précèdent les guitares sur The Wounds of Adoration, franchissant un pallier dans le mysticisme si bien que l’on pourrait presque voir danser toutes sortes de créatures effrayantes et difformes sous nos yeux au sein de cet univers décadent. La musique reste cependant abstraite, peut-être pour que l’on puisse matérialiser nos propres démons dans ce qui nous rappelle La Divine Comédie avec tous ses châtiments, le folklore et l’obsession pour le sang et ses mystères en plus.
La vidéo (ci dessus) pour illustrer The Circle of Hell est composée entre autre des propres illustrations de l’auteur. On peut y visualiser l’influence directe qu’a la culture japonaise dans ce projet, l’un des personnage portant le masque d’Hannya (symbole de jalousie et de vengeance souvent assouvie par une figure féminine démoniaque), lui même étant ici une référence au film Onibaba, film culte japonais de Kaneto Shindö sorti le 21 novembre 1964. Personnage qui, après avoir satisfait sa vengeance, se donne la mort selon un ancien rituel traditionnel japonais, le seppuku, une forme de suicide presque artistique signe de volonté et de détermination.
Heureusement cette fois, la majorité des paroles sont écrites en anglais ce qui nous permet de se rapprocher encore plus de l’essence même de l’oeuvre (on croirait même entendre certaines âmes crier dans Panorama of Hell)… On y parle de sacrifices, de rêves empoisonnés, de putréfaction, et le tout pourrait se résumer en cette phrase « A Beauty darker than death ».
L’écoute de Body Horror est une expérience sensorielle transcendantale presque expérimentale comme il en existe peu ; on entendra rarement plus angoissé et tourmenté (peut-être à l’exception des oeuvres de K.F.R, forcément) et elle ne sera pas des plus accessibles. Il faudra aller explorer les coins secrets les plus sombres de son imagination pour en apprécier tout le potentiel. Finalement lorsqu’on rouvre les yeux, où se trouve le véritable enfer ? A chacun sa réponse, en tout cas on y retournera volontiers, non sans un certain plaisir.