Chronique | Kyūketsuki - Oni

Maxine 9 avril 2025

Maxime Taccardi nous présentait le mois dernier Oni, une autre porte s'ouvrant sur l'Enfer de Kyūketsuki, son projet de black métal gorgé du folklore japonais le plus sombre qui soit. Alors que K.F.R illustre ses peintures de lugubres lamentations tandis qu'Osculum Serpentis revêt des traits plus gothiques illustrant le mythe vampirique d'un juste équilibre entre horreur et mélancolie, Kyūketsuki se distingue en s'inspirant du monde des esprits japonais, y piochant de multiples références culturelles empruntées à l'art, aux croyances populaires ou à la littérature, dans ce qu'il a de plus étrange, spectral et infernal.

Comme toujours, l'attention qui est portée à l'écrin méticuleusement travaillé est à noter. La pochette, peinte du sang de l'artiste n'est pas seule à illustrer ce recueil puisque chaque titre possède également sa propre illustration. Comme son contenu, l'objet se fait plus étoffé et encore plus soigné qu'auparavant. Oni, le cinquième titre de cet album est enrichi d'une vidéo a visionner ci dessous.

Chaque album de Kyūketsuki est une expérience sensorielle qu'il faut apprivoiser. Les différents instruments utilisés en plus des classiques guitares/basses/synthés renforcent la sensation de dépaysement : xylophone, taiko, flute... Loin d'être accessible, le black metal ici se fait égal au pire de l'âme humaine jusque dans l'au-delà, sans accroche ni repère, sanglant rampant et sale. Oni, représentation du mal-être de chacun, de notre Enfer qu'il soit personnel ou social, annihile nos perceptions dès la première écoute. Toutes les frontières se voilent, le réel et l'imaginaire se mêlent, la terre et l'Enfer ne font qu'un. 

Si le son nous désoriente, les titres sont également évocateurs : Gemini est le titre d'un film de Shin'ya Tsukamoto sorti en 1999 dans lequel le personnage principal est confronté à la vengeance d'un jumeau malfaisant grimé en un démon burlesque qui souhaite usurper son identité. Dans le célèbre manga Devil Man de Gō Nagai, le personnage principal prend l'apparence d'un démon pour mieux en protéger les humains tandis que Satan prend forme humaine pour finalement oublier qui il est vraiment. L'essence de toute cette vengeance au visage flou, sans contour défini, prenant vie au sein d'une inapaisable violence acharnée, fait corps avec la musique de Kyūketsuki qui semble exister pour illustrer la noirceur de ce monde dans lequel différents enfers se superposent encore et encore.

Le morceau Uzumaki illustre parfaitement cette fatalité à l'image de l'œuvre de Junji Ito qui dépeint dans chacune de ces histoires des personnages damnés essayant d'échapper à leur funeste destin, toujours en vain. Kyūketsuki réussit d'une main de maître à retranscrire en musique le malaise vertigineux du piège de cette spirale illustrée par des notes lancinantes qui, dans la répétition d'un mouvement angoissé, enferment le cauchemar dans une boucle sans fin. Tomie, premier titre sorti pour présenter l'album et autre référence évidente à l'auteur et a son personnage féminin aussi séduisant que destructeur (chaque prétendant finit par tuer Tomie de la plus atroce des manières, rendu fou par cette figure diabolique) est l'un des chapitre les plus abouti. Somptueusement incarné, le morceau dont les accords hantés empreints de mysticisme oscillent entre les chœurs tourmentés et l'inquiétante voix de Tomie (issue de l'adaptation d'Ataru Oikawa) nous envahit. Vide de notre essence, nous devenons un pantin crayonné de l'histoire évoquée, future victime damnée. 

Arubeki Jigoku (d'une étrangeté envoûtante) et Oni(rique) qui porte des airs tristes, font office de conclusion funeste à cette œuvre. Les dernières notes, plus humaines et accessibles, recréent un lien concret avec notre réalité et closent ce cauchemar sur de sombres présages si bien qu'Oni s'écoute comme un rêve hallucinatoire tranchant, dans lequel chacun pourra puiser une partie de lui-même. Aucun doute ne subsiste concernant le talent du marionnettiste maitrisant cet univers, qui choisit d'orienter ses notes de musique vers l'obscurité la plus totale, trouvant là une beauté inédite et personnelle unique en son genre dont l'audace force toujours autant l'admiration.