Chronique | Lacuna Coil - Sleepless Empire

Pierre Sopor 12 février 2025

Cet "empire qui ne dort jamais" qui donne son titre au nouvel album de Lacuna Coil désigne notre monde où tout est connecté en permanence, où il faut toujours "produire" pour "exister", de peur de disparaître des omni-présents réseaux sociaux. Un constat qui s'applique aussi bien au groupe italien, qui a également connu "l'avant", la chanteuse Cristina Scabbia confessant sans peine son besoin de toujours être active, toujours créer, et son incapacité à faire des pauses. Pourtant, une pandémie mondiale semble avoir retardé leurs plans : Black Anima, leur dernier "vrai" album inédit, date de 2019. Entre temps, Lacuna Coil a sorti un live et fêtait les vingt ans de l'incontournable Comalies en le réenregistrant.

Est-ce dans cette frénésie, cette réluctance à lever le pied, que Lacuna Coil trouve le moyen de toujours aller de l'avant ? Point de stagnation passéiste, même si pour beaucoup le groupe est associé à de beaux souvenirs nostalgiques (ce que Comalies XX venait d'ailleurs nous rappeler), on avance, on reste dans l'air du temps... sans pour autant se remettre énormément en question. Il faut bien peu de temps à ce Sleepless Empire pour se placer en digne héritier de son prédécesseur : lourd, agressif, avec les vociférations d'Andrea Ferro qui lui donne sa rugosité. Lacuna Coil attaque fort d'emblée avec The Siege et met en place la machine à tubes vindicatifs.

Sleepless Empire avait été teasé par de nombreux singles et plus de la moitié de l'album est connue avant sa sortie, on l'attaque donc avec plusieurs titres déjà bien en tête. Leur savoir-faire pour la formule accrocheuse et les hymnes puissants n'a pas pris une ride. Les lignes de chant de Cristina Scabbia insufflent à la fois émotion et théâtralité, apportant autant de respirations bienvenues à un ensemble hargneux dont l'énergie ne faiblit jamais vraiment. Le refrain d'Oxygen, les chœurs mystiques de la pesante Gravity, l'intro de In Nomine Patris, les touches dépaysantes de Never Dawn, la mélancolie plus écrasante de Sleep Paralysis.... à plusieurs reprises, Lacuna Coil semble rappeler ses racines plus gothiques (voire son goût pour la pop avec I Wish You Were Dead, provoquant un réjouissant décalage entre sa musique et la violence de son texte revanchard sur les relations toxiques). C'est en tout cas plus flagrant que lors des dix dernières années. On y gagne aussi bien en atmosphère qu'en émotion sans pour autant y perdre en intensité.

Si l'on reste dans la lignée des dernières sorties du groupe, l'oreille curieuse se tournera bien vite vers les morceaux avec invités, un phénomène peu fréquent chez Lacuna Coil. Hosting the Shadows est un des points culminants de l'album, saisissant assaut aux contrastes vertigineux encore une fois porté par la performance de Scabbia qui semble toujours plus variée et irréprochable au fil des ans... et pourtant, difficile de ne pas penser que Randy Blythe de Lamb of God, en restant dans un registre proche de Ferro, n'apporte pas non plus de renouveau flagrant. Idem pour Ash Costello sur In the Mean Time : le clin d’œil est sympathique mais tient plus de l'anecdote tant la formule Lacuna Coil semble solide. Là encore, le savoir-faire et la rigueur prennent le pas sur la surprise : ça fonctionne très bien mais sans prendre de gros risques ni risquer de dévier des chemins habituels.

De cet équilibre précaire entre pertinence contemporaine et nostalgie, Lacuna Coil s'en sort une fois encore avec les honneurs. En continuant dans cette voie plus violente et sombre des dernières sorties, Sleepless Empire n'en oublie pas néanmoins de soigner ses atmosphères afin de rendre palpable cet "empire insomniaque" et lui conférer une ampleur mystique. A ce rythme-là, le groupe peut continuer encore longtemps : pas de révolution en vue, pas de mauvaise surprise non plus, et une fournée de nouveaux titres pour étoffer nos playlists et qui apporteront aux futurs concerts un vent de fraîcheur plaisant.