Créé en 2010 par le Britannique William Maybelline et la Suissesse Larissa Iceglass, le duo LEBANON HANOVER s'est imposé auprès des fans de coldwave et de goth-rock ; avec sa musique froide et déprimante sur laquelle plane en permanence l'ombre de THE CURE et JOY DIVISION, ses atmosphères soignées, ses visuels kitsch qui suscitent pourtant une indéniable affection, le groupe est à la fois clichesque et terriblement attachant, il nous a conquis sur des albums tels que Why Not Just Be Solo ou Besides The Abyss. Difficile donc de résister à l'envie de se jeter sur Let Them Be Alien, son sixième album, sorti cette année !
Et on aurait tort de ne pas le faire, car on y retrouve tout ce qui fait le charme de LEBANON HANOVER : sa basse lourde et monotone, ses arrière-plans électroniques glacés, son imperturbable boîte à rythmes et le chant désabusé de William et Larissa joignent à nouveau leurs forces pour exprimer la lassitude avec une sobriété désarmante ; on retrouve là toute l'implacable mélancolie de la coldwave, le quasi-morceau-titre Alien, qui ouvre l'album, en est un exemple magistral avec sa mélodie simple et poignante, au service de paroles éloquentes sur une solitude suicidaire (I like to wander some graveyards alone / And think of all that I've become / What kind of box I would go... tout un programme !). On retrouve également sur Gravity Sucks le saxophone qui avait déjà apporté sa douceur grave sur l'album précédent et qui nous rappelle au bon souvenir de THEATRE OF HATE.
À mesure que l'album avance, on se laisse surprendre par la place prise par l'électronique : à partir de Kiss Me Until My Lips Fall Off, celle-ci devient en effet beaucoup plus prégnante, les synthétiseurs venant hanter de leurs sonorités irréelles la guitare et la basse plutôt que de rester en arrière-plan. C'est sur My Favorite Black Cat et Lavender Fields que l'effet en est le plus saisissant ; ces deux morceaux impriment un terrible sentiment de perdition, où les sons électroniques, doux mais d'une répétitivité obsédante, ne font que nous enfoncer davantage encore dans la langueur et l'isolement de Larissa, avec toujours en fond cette basse à la monotonie impassible... Mieux vaut être prévenu qu'on n'en ressort jamais vraiment. Dans un style plus dansant, plusieurs morceaux tirent sur l'EBM, ce qui n'est pas une totale nouveauté chez LEBANON HANOVER, mais plusieurs morceaux de ce type sont cette fois présents, dont Ebenholz et Petals qui closent l'album sont les plus dignes représentants. Ajoutons que ce n'est pas seulement la place prise par les synthétiseurs qui se renforce mais aussi celle de William : alors qu'on entendait jusqu'ici presque exclusivement Larissa, son chant est cette fois présent sur la moitié des morceaux, dont Alien où il est en duo avec elle. Ni sa voix ni celle de Larissa ne sont irremplaçables, mais ce nouvel équilibre entre les deux apporte une diversité rafraîchissante.
Let Them Be Alien est donc un excellent album comme le groupe nous y a habitués, tout en surprenant davantage que ses prédécesseurs : avec la plus grande part accordée aux influences électroniques et industrielles, LEBANON HANOVER s'éloigne de son image de groupe pour nostalgiques de la coldwave des années 80 et nous offre un style plus personnel, s'inscrivant dans les expérimentations entre musiques sombres et électroniques de la darkwave. Il en résulte un album moins minimal mais plus immersif, nouvelle expression de l'inconsolable mélancolie du duo. On est en droit de regretter la facilité du morceau EBM Du Scrollst, mais en-dehors de cela, c'est un sans-faute, digne successeur de la discographie impériale du groupe.
Ce n'est évidemment pas un disque pour ceux qui recherchent une musique énergique, qui donne la force d'affronter la vie ; c'est au contraire un album neurasthénique et accablant, pour les moments où l'on en est désespéré. En cela, c'est une grande réussite, et au sortir de son écoute, on a l'inévitable sentiment que, réchauffement climatique ou pas, The World Is Getting Colder.