Chronique | Leprous - Melodies of Atonement

Pierre Sopor 25 août 2024

Pour la première fois depuis... eh bien, presque leurs débuts, les Norvégiens de Leprous n'ont pas sorti de nouvel album studio au bout de deux ans. Il en aura fallu trois pour que Melodies of Atonement pointe le bout de son museau. Que s'est-il passé depuis Aphelion pour provoquer un tel retard ? Il y a eu l'album live paru l'an dernier pour patienter mais les débuts en "solo" du chanteur-claviériste Einar Solberg et son album 16 sont aussi peut-être à prendre en compte. Trois ans, cela reste un délai acceptable, surtout pour maintenir le niveau de qualité qui n'a, pour l'instant jamais fait défaut à Leprous. C'était aussi la durée que nécessitait une certaine (nouvelle) remise en question du groupe...

... Car oui, Melodies of Atonement vient chambouler les habitudes du groupe qui s'étaient installées depuis une petite dizaine d'années. Avoir son projet de son côté à permis à Solberg d'exorciser ses pulsions symphoniques, laissant Leprous se recentrer mais aussi offrant plus d'espace aux autres musiciens du groupe. Le résultat, lui, se fait entendre d'emblée : les guitares retrouvent une agressivité que l'on n'avait plus vraiment entendu depuis The Congregation. Cependant, Leprous n'est pas tourné vers le passé. Melodies of Atonement construit sur les expériences passées, notamment avec des structures pop qui rendent les morceaux immédiatement accrocheurs, viscéraux tout en s'appuyant avec justesse sur l'électronique pour créer des ambiances prenantes (Limbo), optant pour des rythmiques immédiates à assimiler plutôt que des libertés alambiquées.

Leprous fait monter la tension pour mieux la laisser exploser, bien aidé par la voix de son chanteur qui livre une nouvelle prestation exceptionnelle et, dans ses lignes haut perchées, insuffle colère, désespoir ou mélancolie comme jamais (entendez-le vociférer sur My Specter, frissonnez donc sur l'intense crescendo de Like a Sunken Ship ponctué d'un peu de growl). On note d'ailleurs dans les textes une implication personnelle toujours touchante et des thèmes récurrents (la culpabilité et les auto-accusations d'Atonement trouvent leur écho dans The Faceless, qui semble répondre à Silently Walking Alone et sa quête d'anonymat paisible). Melodies of Atonement est au sommet de sa puissance quand il repose sur les contrastes, sur ces cris du cœur qui jaillissent avec une authenticité et une spontanéité rendues possibles par la mise en place qui les précédent, à l'image de la progression très théâtrale de Starlight, trépidante et nous trimballant comme une pièce épique d'une comédie musicale. Théâtralité encore avec le final poignant de Unfree My Soul et sa conclusion crépusculaire dont la force réside encore dans la nuance, entre libération et capitulation rappelant tout le talent de Leprous pour les titres cinématographiques. Finalement, c'est en se laissant aller à des balades plus apaisées ou linéaires que Leprous nous emporte le moins, ce qui n'arrive finalement que le temps d'I Hear the Sirens, qui n'est pas mauvais mais souffre de la comparaison avec le reste de l'album, de très haute volée.

En présentant Melodies of Atonement, Leprous avait facétieusement dit qu'il s'agissait de leur meilleur album, s'empressant d'ajouter "cette fois, c'est vrai". Avec ses structures progressives mais qui évitent le démonstratif pompeux et cérébral pour entrer plus rapidement dans le vif du sujet et mieux servir les émotions, ce nouvel album est un ensemble à la fois nerveux, agressif et à fleur de peau. Accessible mais non dénué de surprises et de richesses, Melodies of Atonement respire, explose et transporte. Comme une marque de confiance, Leprous y est à la fois vulnérable et conquérant et n'a pas peur de laisser respirer sa musique, de moins la charger que par le passé pour laisser exploser toute son élégance avec plus de sobriété et de sincérité. Leur meilleur album, pour de vrai ? Et pourquoi pas, après tout ?