L'ascension de LINGUA IGNOTA fut fulgurante. Quatre ans après son premier album, Kristin Hayter revient avec Sinner Get Ready, un troisième disque qui sort sur le prestigieux label Sargent House et qui prolonge la catharsis entamée avec All Bitches Die.
La prolonge-t-il vraiment ? Le premier contact avec Sinner Get Ready surprend : une pochette et des photos promotionnelles mettant en scène l'artiste dans des décors riches, couvertes de bijoux et vêtue d'une robe élaborée. Les premiers titres mis en avant, Pennsylvania Furnace et Perpetual Flame of Centralia, surprennent pas leur calme et leur ton presque apaisé. On est loin des hurlements pétrifiants hérités du black metal et des expérimentations à la Diamanda Galás qui nous saisissaient lors des albums précédents. Le début d'album, lui, est pourtant aussi monumental qu'à l'accoutumé : avec ses dix minutes, ses lamentations, ses déviances noise, son piano massacré et son atmosphère oppressante, The Order of Spiritual Virgins nous tétanise d'emblée et installe son auteur en grande prêtresse de la souffrance.
Plutôt que de bidouiller avec des sonorités industrielles, Hayter choisit de mettre en avant des instruments traditionnels des Appalaches, qu'elle torture bien sûr à sa guise pour les éloigner de leur usage primitif et dresser ainsi un portrait peu reluisant de la Pennsylvanie rurale où elle a vécu et où le christianisme est profondément ancré. Cela donne quelques éléments folk / americana détournés par les tourments de l'artiste, comme Man is Like a Spring Flower où il n'est pas interdit de voir une certaine ironie, notamment dans l'association d'un banjo à des choeurs poignants et dramatiques. Véritable furie mythologique, Hayter n'épargnera personne dans sa quête de justice : ni les hommes ni les dieux qui servent de prétexte à leurs atrocités.
Sinner Get Ready semble tendre à une forme de minimalisme sonore qui, bien loin d'en diminuer la puissance, ajoute à l'impact émotionnel des titres. Le chant de Hayter occupe tout l'espace qu'il mérite (Repent Now Confess Now, impressionnante) et joue des silences pour nous suspendre à ses mots alors que l'expérience revêt des allures mystiques. Chœurs, orgue, sons de chaines : I Who Bend the Tall Grasses plante une atmosphère religieuse de laquelle s'extirpent les cris poignants et rageurs de Hayter. Tantôt grandiloquent et baroque, tantôt intimiste mais toujours viscéral et organique, l'ensemble dégage toujours une douleur et une folie sous-jacente qui ne nous rassure jamais vraiment, même dans ses parties les plus douces.
Sinner Get Ready calme une partie de la violence initiale de LINGUA IGNOTA, comme si Hayter surmontait finalement ses démons et sortait grandie de ses exorcismes successifs, ayant fini par dépasser ses traumatismes et sublimer sa souffrance. La douce mélancolie du dernier tiers crépusculaire nous accompagne d'ailleurs bien au-delà de l'écoute. Alors que le premier contact avec ce nouvel album pouvait déstabiliser et interroger, Sinner Get Ready est non seulement la suite logique de ses ainés mais surtout, il révèle sur la durée toute sa puissance et sa splendeur.