Chronique | Love Ghost x SKOLD - Love Ghost x SKOLD

Pierre Sopor 21 novembre 2024

Et si Tim Sköld était en fait l'incarnation de Tilda Swinton dans la musique industrielle ? Une figure atypique à la tignasse improbable que l'on a toujours plaisir à voir apparaître un peu partout dans des projets parfois inattendus, des rôles différents, mais s'en sortant toujours avec les honneurs ? Le voici aux côtés de Finnegan Bell, le jeune chanteur de Love Ghost, un projet de rock alternatif californien aux influences grunge, post-punk, pop, emo, trap... Leur collaboration s'annonce donc non seulement comme une rencontre entre deux générations mais promet également une liberté de ton rafraîchissante, affranchie des règles codifiées de genre.

En effet, dès Nightshade & Cocaine, Love Ghost et Skold s'amusent, affranchis. Propre au mouvement grunge, le spleen léthargique quasi apathique de ceux dont le corps est encore parmi nous mais dont l'âme vagabonde déjà ailleurs hante le chant alors que les riffs de guitare apportent une lourdeur industrielle bienvenue. Les voix sont complémentaires, leur harmonie défaitiste fonctionne très bien. On tient là un hymne entêtant et brumeux, aux errances auto-destructrices romantiques. Dans leur musique, les deux artistes ont déjà prouvé à plusieurs reprises leur goût pour les hybridations (on se souvient par exemple comment le dernier album de Not My God, le duo formé par Nero Bellum et Tim Sköld, empruntait de nombreuses directions) et c'est en toute logique que leur album ensemble fasse preuve de la même liberté.

Les multiples expériences de l'un trouve dans la fraîcheur de l'autre un terrain de jeu idéal. L'époque n'est plus aux frontières définies. Love Ghost et Skold passent d'une douceur presque niaise à la menace à peine voilée (Great White Buffalo, qui crisperait avec ses airs de Red Hot Chili Peppers si elle ne plongeait pas subitement vers plus de négativité), nous sortent un titre pop-rock qui soudainement dérive vers des ambiances synthétiques noires et hallucinées (You Are The Gun (Valhalla), dont certains passages rappellent quelques cauchemars de Marilyn Manson période Mechanical Animals). Les premières écoutes peuvent laisser dubitatif : tout cela semble de prime abord trop sucré. Le charme des punchlines emo-gogoths un peu forcées ("I don't wanna die if there's no pain" dans Nightshade & Cocaine ou "I don't want to die but I want to be buried" dans Cemetery et sa glaçante mélodie d'intro entre trap et witch-house) finit par opérer grâce à leur sincérité, ce côté écorché viscéral et authentique qu'apporte Bell. Au fur et à mesure, cette sensibilité qui se dégage, les multiples influences, ce côté à la fois vulnérable et qui se fout de tout séduisent.

Les complaintes douce-amères s'enchaînent. Les titres sont courts et efficaces (Payback et son phrasé à la Fuck U de Archive, puis Level Up et l'agressivité de sa rythmique - très "mansonienne" - sont des hits en puissance). Dans son refus de se restreindre musicalement et dans son humeur générale entre résignation, nihilisme, désillusion et mélancolie, la rencontre entre Love Ghost et Skold ressuscite le parfum du rock alternatif sombre des années 90. On pense par exemple à Nine Inch Nails, Placebo ou Alice in Chains sans pour autant que ça y ressemble vraiment mais en y insufflant une énergie contemporaine. Dans ses maladresses, comme toute œuvre d'un jeune artiste enflammé, l'album finit par trouver une certaine grâce qui le rend attachant et même parfois exaltant.