Elles nous avaient manqué ! Après deux albums espacés de seulement deux ans en 2015 et 2017, les deux sorcières de Machinalis Tarantulae s'étaient faites discrètes. Ce fascinant projet où la viole de gambe, instrument systématiquement associé à la Renaissance, est ici modernisée à la sauce industrielle est enfin de retour avec Traum. Ce titre est une promesse : préparez-vous à pénétrer un univers unique, poétique et inquiétant, à la fois baroque et fantastique mais surtout hanté par de sublimes ombres à la beauté irréelle.
Plus que composée, la musique de Machinalis Tarantulae semble être tissée dans la pénombre d'une cabane, au fond des bois. C'est avec plaisir que l'on retrouve toutes ces étrangetés, ces petites dissonances inquiétantes qui ouvrent le morceau-titre avant d'être saisi à la gorge par des riffs de guitare agressifs et les percussions frénétiques de Miss Z. Les rythmiques, à la manière d'un métronome, provoquent l'hypnose, le rêve : Machinalis Tarantulae abolit le réel et le temps. Au chant, Justine Ribière opte pour cette diction froide et sévère, figure d'autorité imposant les règles de son rituel. On est surpris par cette hargne soudaine, ces touches quasi metal indus que l'on avait déjà devinées par le passé qui explosent ici avec une rage nouvelle.
Sur son troisième album, Machinalis Tarantulae montre les crocs et rentre dans le lard avec une succession de morceaux accrocheurs. Les rythmiques glaciales et primitives imposent leur tension avec une répétitivité hypnotique, mystique, pas loin de la transe. La mélancolie s'incruste et se mêle à ce sentiment d'urgence, cette angoisse aliénante transpirée par les guitares. Hors du temps, les deux musiciennes associent passé et futur aussi bien dans la musique que dans les images qu'elle évoque, des rêveries steampunk du Voyage dans la Lune de Méliès avec To the Moon à la froideur dark electro de l'obsédante Witch (avec les camarades de Shaârghot en backvocals). Cette viole de gambe, à l'archet de laquelle nous sommes suspendus, impose toujours mystère, mélancolie et suspense. Au fur et à mesure que le temps passe, on se surprend à monter le son, encore et encore.
En laissant de côté les morceaux uniquement instrumentaux et plus atmosphériques, Machinalis Tarantulae a gagné en densité et en efficacité. Y ont-elles perdu en magie ? Eh bien non. Entendez-les incanter dans la nuit de Confinia Mundi, laisser les samples de Giant Stones nous extraire une fois encore du monde réel ou nous charmer avec la lourdeur d'Archers Are Blind et sa mélodie sinistre qui rampe dans l'obscurité, où elles mélangent délicatesse et dureté avec leur savoir-faire bien particulier. En cours de route, nos rêveries nous égareront du côté de Time Stand où les Tambours du Bronx viennent ajouter un surplus de puissance aux percussions (on devine qu'Arco Trauma, compagnon de longue date des artistes impliqués, n'est pas étranger à cette belle rencontre) et l'on se prend alors à imaginer la gueule qu'aurait une collaboration plus conséquente des deux projets, nos deux prêtresses imposant leur magie au milieu d'une quinzaine de bidons.
C'est en suivant ce fil onirique, là aussi tissé dans la noirceur merveilleuse de Traum, que l'on repense alors aux concerts. Machinalis Tarantulae, ce sont deux musiciennes assises dans le noir et qui dégagent une puissance rare, associant l'intransigeance de la froideur industrielle à la poésie baroque. Ce nouvel album semble taillé pour le live : avec son approche plus rituelle et mordante, Traum enchaîne les titres incisifs. C'est à la fois lourd et aérien et ces pulsations cathartiques continueront de nous posséder bien après l'avoir écouté encore et encore. Pendant ce temps, Machinalis Tarantulae fait preuve d'une superbe vigueur, ne se répète pas, gagne en puissance et confirme son statut de projet si singulier et précieux. Génial !