Chronique | Marilyn Manson - One Assassination Under God- Chapter 1

Pierre Sopor 28 novembre 2024

Comment serait-il possible de parler du retour musical de Marilyn Manson sans évoquer le contexte entourant l'artiste ? Faisant l'objet de multiples plaintes pour violences sexuelles et autres abus (sa plainte pour diffamation contre Evan Rachel Wood, jugée sans fondement, vient d'être abandonnée et il a dû lui payer ses frais de justice), l'artiste à l'aura déjà ternie était encore attendu, que ce soit avec impatience ou pour mieux le traîner dans la boue. One Assassination Under God - Chapter 1 (parce qu'il va falloir s'en cogner un second ?) ne mérite pourtant pas autant d'attention.

Il est parfois désolant de voir comment, quand on arrive à un certain niveau de notoriété, tout devient affaire de communication et de paraître. Un peu de poudre aux yeux, un ou deux coups un peu malins et hop, l'affaire est dans la poche. Marilyn Manson maigrit, remet sa lentille, nous sert un "premier chapitre" promesse d'un second et d'un retour à des concepts plus riches, réutilise des éléments visuels de sa célèbre trilogie (entre les typos piquées à Holy Wood et Antichrist Superstar et ce personnage auréolé rappelant ses aquarelles à l'époque de Mechanical Animals, en particulier le single I Don't Like the Drugs) et voilà : le "grand Manson" serait de retour, avec cette analyse un brin facile et clichée voulant qu'il ne serait jamais aussi fort que quand il est au plus bas (rappelez-vous Columbine). Tu parles ! Et si finalement, One Assassination Under God était à sa discographie ce que le septième épisode de Star Wars est au reste de la saga ? Une opération marketing soignée qui, surtout, ne prend aucun risque et profite à fond de la machine à nostalgie pour flatter le public et rassurer les actionnaires en faisant oublier son absence d'autres ambitions et son vide ?

Car c'est bien là le plus décevant (musicalement) : il n'y a pas grand chose à retenir de cet album. Marilyn Manson a très souvent alterné entre le pire et le meilleur au sein d'un même ensemble mais n'a (presque) jamais été aussi ennuyeux. Nous le devons principalement à Tyler Bates, faiseur de musique pour le cinéma et probablement suiveur de consignes fiable à défaut de génie. Ce dernier ne reproduira visiblement jamais les quelques miracles de The Pale Emperor, dont l'inspiration se borne à répéter des riffs ternes ou recycler des motifs déjà essorés (Sacrilegious, le single en mode Disposable-dagga-buzz-fucking-geddon), incapable d'apporter un supplément d'âme aux morceaux, un quelque chose qui les ferait décoller. Que l'on aime ou non leurs apports respectifs, Shooter Jennings (We Are Chaos) ou Tim Sköld (The Golden Age of Grotesque, Eat Me Drink Me) avait une touche bien plus personnelle, une saveur à eux. De pâle, l'Empereur est devenu fade et nous inflige des rengaines plus mécaniques qu'animales à l'image de Raise the Red Flag et sa poussive tentative d'avoir du mordant, plus embarrassante que terrifiante (Nod if You Understand est plus efficace dans l'immédiateté de son riff). Au mieux, Manson se complait dans les tonalités sinistres et menaçantes qu'il maîtrise si bien et que l'on a déjà entendues mille fois.

On retrouve parfois quelques frissons, cependant. Il ne manque pas grand chose au morceau-titre pour vraiment décoller (là encore, Bates aurait pu avoir une idée, n'importe quoi, pour éviter le soufflet de retomber avant la fin).  As Sick as the Secrets Within, premier single judicieusement choisi, avait à juste titre provoqué un certain enthousiasme. Mystérieux, poétique, intense, dramatique : l'ombre d'un Manson plus flamboyant s'y devine encore au détour de lignes de chant inspirées. Sacrifice of the Mass, ses nappes de synthés et son dépouillement qui s'épaissit peu à peu, offre à l'album une bien belle conclusion. Death is not a Costume reste facilement en tête. On note parfois un penchant pour le metal et la lourdeur un peu plus prononcé. Mais à part ça ? Pas une idée neuve. Pas une surprise. Pas une mélodie mémorable, pas le moindre coup d'éclat. Juste une stagnation paresseuse sur des acquis confortables : en période de crise, surtout, ne pas prendre de risque.

On a connu Manson magnifique comme on l'a connu ridicule. Ici, sa performance n'est ni vraiment l'un, ni vraiment l'autre. On ne l'a effectivement plus entendu chanter comme ça depuis vingt ans, mais il reste dans un registre relativement uniforme, abusant encore et toujours des mêmes filtres, et l'illusion fond dès qu'il se met à pousser sur ses cordes vocales. Les textes sont ici plus subtils, une progression déjà notable avec son précédent We Are Chaos et son approche douce-amère moins nombriliste qui rattrapait l'écriture pathétique de Heaven Upside Down. Lui qui s'est toujours placé en martyre, s'amusant à parodier les symboles christiques pour mieux dénoncer le puritanisme et l'abrutissement des masses, nous ressort ici cette partition. Il est la victime, l'agneau sacrificiel, le mal-aimé. L'auto-critique lui convient du moment qu'elle sert sa vision fantasmée de lui-même et son personnage, mais n'attendez de sa part ni honnêteté ni courage. Il est juste vexé.

Cela passait face aux illuminés religieux qui, dans leurs délires de panique satanique américaine, associaient les pires vices au rock'n'roll, créant une véritable bête médiatique. Quand on fait l'objet de nombreuses plaintes pour violences sexuelles, le rôle du souffre-douleur geignard passe moins bien. Manson a beau être devenu sobre et s'être composé un nouveau line-up, il ne ressort rien de plus de son introspection qu'un auto-apitoiement indécent et caricatural, un narcissisme immature d'un artiste qui, en définitive, ne s'est jamais intéressé à autre chose qu'à lui-même et l'image qu'il essaye de vendre. Allez Brian, t'as 55 ans, comme tout le monde à cet age tu réalises que tu es devenu ce que tu dénonçais autrefois... arrête de pleurnicher.

Dans le mépris qu'il affiche pour les masses aveugles, ne soyons pas dupes : il inclut évidemment son public auquel, avec One Assassination Under God, il ne sert qu'un tour de filou, une tromperie bien emballée pour essayer de raviver le souvenir d'un passé glorieux. Production plate, mêmes formules répétées jusqu'à l'abrutissement, rappels constants à son passé, absence totale d'innovation ou d'expérimentation : en suivant un cahier des charges similaire à celui d'un blockbuster hollywoodien ou d'une campagne de publicité pour de la lessive, il fera illusion un temps auprès de ceux chez qui la nostalgie fait mouche. Pour le reste, circulez : quitte à contempler une déchéance triste et piteuse d'un accro aux projecteurs et ses tentatives de regagner l'attention, autant revoir l'intégrale de Bojack Horseman.