Chronique | Maudits - Précipice

Franck irle 14 novembre 2024

C'est bientôt l'heure des bilans et probablement le moment de délivrer l'un des albums secrets les mieux gardés de l'année. On connait la formule, le disque que personne n'a capté ou tardivement, l'originalité des compositions, l'innovation ou l'anti-conformisme face aux tendances musicales actuelles. Maudits appartient à cette famille de musiciens dont la relation avec l'art n'est pas seulement reliée au mythe, mais à la capacité de l'esprit de se séparer de son carcan, à savoir l'ego.

Baladins bannis des grands chemins, partis parmi les impies dispenser leur chagrin, leurs inspirations et leurs mélodies, l'intention des musiciens, des poètes et des plasticiens est que leur conscience puisse se connaître, elle devient le prisme dans lequel l’œuvre est intégrée et déclinée en plusieurs segments. Maudit blues dans lequel l'esprit est confronté au dilemme originel : la reconnaissance de ses contemporains au prix d'une gloire qui ne rapporte que zéro et des poussières. Ne croyez pas aux humanistes d'un milieu où la rentabilité est prégnante, le nerf de la guerre culturel est concurrentiel. Tout est interchangeable. Sauf qu'ici, même au bord du précipice, le trio Maudits a recours à une panoplie où chaque objet aurait la parole pour nous raconter son histoire. 

De la captation furtive d'un frottement de cordes jusqu'à la précision dans le geste de chaque instrument, Maudits instaure une couleur sonore dans une interconnexion composite proche du diamant. Chaque facette, chaque accord est un support pour des images suggérées par les titres évocateurs - Vielä Siellä, Seizure. Pris dans une étrange malédiction de sorcière Shakespearienne, Précipice qui intronise l'album et qui se décline en deux parties, se transforme musicalement à mesure que sont brodées des riffs de guitare arpégés, évoquant Grails, God is An Astronaut le tout solidement appuyé par des patterns, des blasts fulgurants dont la batterie échafaude les multiples rebonds. Pour embellir la chose, on retrouve Raphael Verguin au violoncelle (Rïcïnn, Psygnosis). Il n'y a jamais l'ombre d'un ennui dans cet album protéiforme, la beauté côtoie le désespoir, le sublime et le sacré. Les passages parsemés de guitare-violoncelle semble ne faire qu'un instrument. Seizure est certainement le titre le plus lumineux, du haut de ses 11 minutes, Olivier Dubuc déploie tout un arsenal de riffs atmosphériques, Erwan Lombard et Christophe Hiegel apportent à l'édifice, la pierre qui sert de monument (le duo basse / guitare sur Seizure) . Maudits arrive même à résoudre l'équation musicale dans laquelle beaucoup de formations se perdent, la ligne de fuite est d'une logique ingénieuse. Plutôt que de se donner la réplique, chaque instrument participe à cette toile sonore, picturale. Pretium Doloris est le trait-d'union avec l'explosif Séquelles, on ne sort indemne qu'après avoir expurgé les scories de l'âme. 

C'est exactement là, dans la deuxième partie du titre Précipice, que le tournant du disque exerce une force concentrique mêlant euphorie et chavirement, ici sont réunies toutes les sensations de vertige, de fièvre, conjurant la mort du passé. On croirait entendre du clavecin sur Lights End, les cordes et l'acoustique forment une matière purifiée, avant que la nuit se glisse entre les arbres. Et que dire, de l'apothéose qui se profile en fin de chemin avec ces nappes de mellotron ? 

De Maudits, il faut mentionner leur précédent album éponyme signé chez Klonosphere et toute une série de concerts, de performances, qui déjà dévoilaient la trajectoire du groupe. La musique du trio atteint notre intimité, nous apprenant à nous regarder en toute lucidité, leur musique ne ressemble à aucune autre, c'est cela qui les distingue. Avec ce deuxième album, Maudits gravit les échelons d'un point culminant, là où tout semble être nimbé d'une couleur neutre, le manteau de la terre, endormi.