Ces derniers temps, Al Jourgensen s'est remis à chantonner un refrain qu'il affectionne depuis une vingtaine d'années : il ne lui resterait plus qu'un album après HOPIUMFORTHEMASSES avant d'offrir à Ministry sa retraite. Selon les interviews, l'emblématique chanteur explique qu'à 65 ans, il aimerait désormais faire autre chose musicalement, ou tout simplement qu'il est temps pour lui de devenir un "adulte". Quelle drôle d'idée. Avant de nouveaux adieux, qui ne seraient pas les premiers mais seront peut-être les derniers (tonton Al a laissé tomber les dreads : ça doit vouloir dire ça, "devenir adulte"), le nouvel album du groupe de metal industriel nous permet de faire la fête une nouvelle fois avec ce doux-dingue si précieux mais, il faut bien le dire, parfois agaçant dans son inconstance.
Certains regrettent le propos trop politique de Ministry depuis les années 2000. C'est oublier non seulement que les musiques industrielles ont souvent fait la paire avec une forme de conscience et de contestation mais aussi que les pires albums de Ministry sont ceux sortis entre 2007 et 2017, quand Jourgensen ne savait plus trop quoi chanter d'autres que ses histoires de beuveries. L'homme s'inspire des travers de sa société et tient d'ailleurs un discours bien plus nuancé et intéressant en interview que dans ses chansons : Ministry est là pour gratouiller voire franchement cogner.
HOPIUMFORTHEMASSES suit cette ligne de conduite d'emblée : B.D.E. pour Big Dick Energy charge à toute vitesse contre la masculinité toxique et les incels. Est-ce parce que ses cibles ont le QI d'un labrador que Jourgensen, facétieux, les taquine sans fioritures ? Fidèle à lui-même, il mélange dérision et agressivité, Ministry est fun, Ministry y va avec ses gros sabots et la délicatesse d'un parpaing, opposant ses sarcasmes à la bêtise dans un exercice qui tient autant de la satire que de l'auto-caricature, de la farce potache que du brûlot. Évidemment, ses victimes mordent systématiquement à l'hameçon. Jouissif ou puéril (comme si l'un empêchait l'autre), chacun se fera son idée. Musicalement, on accroche à l'efficacité de l'hymne.
Jourgensen reste dans l'énergie retrouvée depuis AmeriKKKant : alors que les slogans s'enchaînent, on apprécie la vivacité quasi juvénile qui se dégage de ces empilements de samples, ces collages qui donnent aux morceaux une touche psychédélique et les élèvent au-dessus des gros riffs rentre-dedans. Cela permet à Ministry de garder ses liens avec la musique industrielle, dont il s'éloigne régulièrement à grands coups d'influences thrash et punk. Cependant, HOPIUMFORTHEMASSES rappelle vite l'expérience du précédent Moral Hygiene : c'est un album ludique, vivant, où l'on s'amuse souvent à défaut d'être surpris. Le groove de Goddamn White Trash avec Pepper Keenan de Corrosion of Conformity ou les riffs thrash poids lourd de New Religion fonctionnent mais ne révolutionnent pas outre-mesure Ministry.
Pour chercher un air plus frais, il faudra se tourner vers l'apport des invités. Il y a bien sûr l'habitué Jello Biafra sur Aryan Embarrassment, aux touches blues rock décontractées qui se heurtent à une ambiance sinistre créée par des slogans percutants ("Make America Hate Again, alt-right / alt-reich") et la répétitivité en boucle des guitares, impitoyables, mais aussi Eugene Hutz de Gogol Bordello sur Cult of Suffering, avec ses chœurs et sa coolitude décalée, peut-être le meilleur moment de l'album.
Paradoxalement, c'est finalement dans des regards en arrière nostalgiques que Ministry donne à HOPIUMFORTHEMASSES un parfum de nouveauté : outre une énième TV Song, Just Stop Oil rappelle parfois le Ministry de la fin des 80's / début 90's et Cult of Suffering a de discrètes touches new-wave... mais c'est surtout la reprise de Ricky's Hand de Fad Gadget qui semble enterrer pour de bon la hache de guerre entre Ministry et son passé synthpop (les rumeurs d'une nouvelle version de With Sympathy en conclusion de carrière vont bon train : et pourquoi pas ?).
HOPIUMFORTHEMASSES est fidèle à un savoir-faire qui a fait ses preuves : Ministry mélange ses boucles industrielles à ses riffs thrash, recouvre le tout de samples, de cuivres, de chœurs et autres joyeusetés pour créer un ensemble à la fois psychédélique et d'une lourdeur mordante, plus sophistiqué et expérimental que bas du front. Sur le propos, Jourgensen régale : il est à la fois drôle et effrayant. Crâneur, il crache à la figure du sinistre et ce ne sont finalement que les fâcheux qui en seront fâchés. L'album ne bouleverse pas les habitudes de son auteur mais reste un plaisir ludique satisfaisant et la preuve que Ministry, après plus de quarante ans, sait toujours s'amuser. Profitons-en le temps que ça dure !