Chronique | Mister Misery - Mister Misery

Pierre Sopor 6 août 2024

Les Suédois de Mister Misery, sortis de leurs tombeaux en 2018, en sont déjà à leur troisième album sobrement titré Mister Misery (ou III, à en croire la pochette). Un rythme qui en dit long sur la vivacité créative du jeune groupe mais aussi sur un plan communication bien rôdé, être omniprésent est un bon moyen de capter et garder l'attention. Du metalcore moderne, mélodique, horrifique, aux influences variées (glam, goth, dark cabaret...) et très (très très) démonstratif ? Mister Misery continue sa danse macabre, à la fois attachant, séduisant... et crispant.

Commençons par ce qui fâche : il y a tout d'abord cet artwork bien fade après les illustrations signées Stefan "GraveArt" Röhm (qui a travaillé également avec les 69 Eyes et Ice Nine Kills) et dont le style macabre proche des comics manque cruellement ici (en l'absence d'info on ne se risquera pas à crier à l'IA, mais on n'en est pas loin !). Et puis, dans son omniprésence, Mister Misery nous mitraille de singles depuis plusieurs mois, une stratégie qui leur permet de toujours squatter l'actualité mais atténue très fortement l'intérêt de la sortie d'un album dont on connaît déjà la moitié. D'ailleurs, pourquoi le sortir en plein été alors que la fin octobre aurait été un contexte parfait ! Et la musique ? Eh bien, rien de très neuf sous le soleil : Mister Misery continue sa route avec son énergie et son enthousiasme habituel, et aligne les hymnes, quelque part entre la théâtralité d'Ice Nine Kills, les maniérismes gothiques de Motionless in White et les grimaces spooky de Wednesday 13, à grands coups de breakdowns pour remuer les nuques et d'inspirations multiples (de Kiss à Trivium, en passant par Avenged Sevenfold).

Cependant, si l'on a quelques raisons de les taquiner, il faut aussi leur reconnaître un vrai sens de l'efficacité. Ce troisième album est une nouvelle succession de titres immédiatement accrocheurs et fédérateurs pour amateurs de metal moderne, de riffs qui mordent fort et de refrains entêtants. Mieux : quand Mister Misery ne s'encombre pas trop de refrains en voix claires à l'émotion un peu trop forcée et extravertie pour ne pas paraître un brin poussive et surjouée, le groupe fait preuve d'un réel savoir-faire bien mis en valeur par leur sens du spectacle (sauvant ainsi Until the End, avec ses chœurs et l'emphase fataliste de son refrain, qui aurait d'ailleurs été bonne conclusion à l'album). On apprécie tout particulièrement les moments les plus lourds (The Doomsday Clock) et le décalage grand-guignol de titres comme Erzsébet (The Countess) ou l'irrésistible The Crooked Man pour laquelle Harley Vendetta se grime en narrateur inquiétant et qui met en musique une comptine populaire anglaise en mélangeant poésie macabre et cirque lugubre... Mister Misery a révisé son Danny Elfman pour notre plus grand plaisir et la virée dans le train fantôme est pleine de moments réellement réjouissants.

Faut-il voir dans le titre éponyme de cet album une approche plus personnelle ? Peut-être : Mister Misery parle finalement de Mister Misery. Si cela vient donner un supplément d'âme et de sincérité à ce grand théâtre de spectres et goules (Survival of the Sickest), c'est aussi la porte ouverte aux moments les plus faibles de cet album. Ainsi, Haters, avec ses scansions belliqueuses en background, sa rythmique martiale et sa méchanceté avait tout pour plaire... mais accorder aux trolls tant d'importance au point de vouloir leur consacrer une chanson pour se venger peut aussi sembler un brin paradoxal, futile et nombriliste. Mettons cela sur la naïveté de la jeunesse !

Mister Misery part dans tous les sens. Comme une attraction de fête foraine, on s'y fait secouer, on s'y amuse comme des petits fous, on en sort décoiffés et avec l'envie d'y retourner... mais on finit aussi par saturer de l'odeur des barbes à papa. Généreux, enthousiaste, fun : ce troisième album est tout ça à la fois, parfois jusqu'au trop plein. Il y a quelque chose de profondément attachant dans cette maladresse, dans cette envie de dépoussiérer les pépés grimés (aussi bien Kiss que Cradle of Filth, du solo dégoulinant aux dents de vampire sanguinolentes), de célébrer Halloween tous les jours, de mélanger entertainment décomplexé et sincérité plus personnelle, de faire les gros durs très méchants tout en laissant une sensibilité exacerbée s'exprimer. L'histoire macabre a tous les atouts en poche pour se poursuivre et on y croit : avec le temps, Mister Misery peaufinera encore sa recette... ou continuera de s'éparpiller, peu importe, finalement : il n'y a rien de déshonorant à proposer des numéros pour tout le monde dans ce grand cirque monstrueux !