Vingt-cinq ans de carrière, douze albums : on ne peut pas reprocher aux japonais de Mono d'avoir obtenu leur statut de "légende" du post-rock en se tournant les pouces. Un rythme effréné qui, justement, se retrouve d'une certaine manière dans OATH, enregistré une dernière fois avec Steve Albini, un nouvel album où il est question... de temps.
Vous vous en douterez, chez Mono le temps a toujours été une composante essentielle : les compositions s'allongent, l'album s'étale sur plus de 70 minutes, une durée de plus en plus rare et qui exige de l'auditeur une réelle attention et un certain abandon, à l'image de cette intro en trois actes avec Us, Then qui déborde progressivement sur le morceau-titre au fur et à mesure que le son s'épaissit et s'intensifie, s'enreichissant d'instruments et de couches supplémentaires pour enfin décoller avant de finalement atterrir en douceur sur Then, Us.
Il y a un miracle qui se produit à chaque fois chez Mono : dans un genre saturé de propositions similaires, ils survolent aisément et se distinguent par leur élégance rare, leur science du crescendo, de l'accalmie, de la subtilité, de la tempête qui s'emballe pour mieux retomber, de la respiration et de l'espace. Quand Mono joue, on se tait, on écoute et on oublie, justement, le temps.
Le résultat est une traversée introspective et contemplative : en réfléchissant sur le temps, Mono se cherche, cherche l'humain... Un peu comme cet artwork d'album qui nous renvoie à toutes les fois où, fixant les nuages dans l'infini du ciel, on croit y déceler une forme, du sens, de l'humain. Ou comme au cours de ces nouvelles compositions, où les orchestrations font toujours des merveilles :Run On et les cordes de sa dernière partie que l'on croirait parfois piquées à Clint Mansell pour leur pouvoir d'évocation et leur intensité, qui se retrouvent embarquées par une rythmique pleine de vivacité et débordant d'émotions, en est un bel exemple.
Mono jongle entre les humeurs et réussit un numéro d'équilibriste parfait entre mélancolie, espoir et joie, résume l'expérience d'une vie en une poignée de minutes, alliant des sentiments contraires avec un sens de la poésie presque acrobatique. Passer de la crépusculaire Hourglass à Moonlight Drawing est un véritable grand huit annonciateur du final en apothéose Time Goes By, qui synthétise en conclusion toutes les qualités de l'album. Avec une maîtrise toujours intimidante, Mono réussit à nouveau à faire tenir tant de choses dans sa musique sans ne jamais l'ankyloser. La pesanteur chez eux (par exemple sur Hear the Wind Sing, dont le titre appelle à l'aérien mais qui finit sur quelque chose de plus tellurique) n'est jamais lourdeur : l'ensemble reste aéré, subtil et dans un équilibre fragile mais irréprochable. Quand une claque a la douceur d'une brise printanière, on la reçoit avec respect et gratitude.