Bring Down the Flags sort avec la difficile tâche de succéder à un monumental premier album qui nous faisait découvrir l'univers de Mütterlein, fascinant et hanté, où se mélangent des influences dark folk, industrielles et post-punk. Dès l'artwork signé Dehn Sora, le ton est donné : le chien noir, présage de mort et de malheurs qui donnait son nom à titre d'Orphans of the Black Sun, rôde dans la pénombre (et s'approprie la forme de la serpette, "symbole" du projet de Marion Leclercq).
On avait laissé Mütterlein sur une note vaguement moins écrasante, la fin du premier album étant relativement moins tourmentée que son début… C'est donc avec une certaine surprise que l'on est cueillis par la bien nommée The Descent. Le chant clair a muté pour devenir un rugissement rageur et la musique a gagné en lourdeur. La sombre poésie mystique des incantations passées laisse place à la terreur pure qui nous foudroie sur place, on est tétanisé par cette nouvelle approche qui ajoute la rugosité de l'indus ritual de Trepaneringsritualen, la lourdeur massive d'Author & Punisher et des atmosphères flirtant avec le black metal ou le doom à un cocktail qui évoquait déjà les Swans, Lingua Ignota ou Siouxsie & the Banshees. Le rite est indéniablement funéraire et les drapeaux resteront en berne.
La noirceur est opaque, hantée par des nappes de synthés toujours aussi lugubres créatrices de paysages désolés et austères (A Mass for It) et cette violence nouvelle rend la musique de Mütterlein plus viscérale encore, amplifiant l'impact de la catharsis. Il faut prendre le temps de se perdre dans la brume de Mother of Wrath, guidé par les lentes percussions du rituel, ou dans la longue introduction de Violence and Misery pour en savourer tout le crescendo : l'intensité monte mais l'auditeur, lui, a l'impression de s'enfoncer toujours plus profondément, de creuser toujours plus loin et de couler, la descente amorcée en début d'album n'ayant pas de fin. Les cris qui s'extirpent de terre ont quelque chose de libérateur et de terrifiant à la fois. La lumière, elle, est très loin derrière quand arrive Requiem : le ton reste sinistre de bout en bout, impitoyable.
Mütterlein laisse éclater cette pesanteur nouvelle qui ne demandait qu'à jaillir sur Orphans of the Black Sun. Le voyage dans les ténèbres est toujours aussi sublime et fascinant mais la musique, elle, est désormais plus opaque et radicale. Le désespoir et la rage qui suintent de chaque note garantissent une traversée mouvementée mais qui tout le long captive et enflamme l'imagination de l'auditeur grâce à la puissance d'évocation de la musique dont les tourments prennent ici une forme quasi physique et palpable via ce chant écorché mais aussi ces percussions à la fois aliénantes et invitant à la transe. Mütterlein réussit avec son deuxième album à faire évoluer sa musique sans se trahir, à la pousser plus loin sans donner l'impression d'une surenchère gratuite : malgré cette dureté nouvelle, c'est toujours aussi subtil et sublime. Ce monolithe de noirceur, massif et absolu, est un nouveau chef d'œuvre.