Suite à l'arrêt en 2011 du groupe de post-metal Overmars dont elle était bassiste, Marion Leclercq s'est donnée quelques années pour se perdre un petit peu, remettre en question son envie de faire de la musique et finalement donner vie à Mütterlein. Orphans of the Black Sun est le premier album de ce fascinant projet solo et première sortie du label Sundust Records fondé par Vindsval de Blut Aus Nord et Phil de Debemur Morti Productions.
Il y a déjà, dans cette présentation, beaucoup de pistes pour approcher Mütterlein : un goût pour la lourdeur hypnotique hérité de l'ancien groupe de l'artiste, des influences mystiques, lugubres et mystérieuses (sans non plus opter pour le metal extrême associé aux labels cités plus haut), mais aussi ce nom, Mütterlein, emprunté à la chanson Desertshore de Nico qui parle, nous dit wikipedia, du deuil impossible du lien maternel. Deuil et féminité sont effectivement bien présents chez Mütterlein qui met les pendules à l'heure d'entrée : Lesbians, Whores and Witches invoque des figures féminines fortes tout en instaurant une ambiance funèbre à l'aide de son orgue synthétique (qui jamais ne vire au baroque). Le chant, grave, est entraînant et le ton à l'invocation crépusculaire séduit. Mütterlein nous embraque dans sa transe avec un hymne funéraire qui dégage le mystère brumeux d'un rituel païen, jusqu'aux tonalités psychédéliques hallucinées. C'est aussi beau qu'inquiétant.
Féminité et magie, encore : sur la pochette, Leclercq brandit une serpette. L'outil permet de cueillir les plantes nécessaires à la fabrication de filtres et son croissant rappelle la forme de la lune. Sur scène, la musicienne s'en entoure, créant un décor inquiétant, évoquant aussi bien la sorcellerie que les piques sur lesquelles Dracula empale ses ennemis. Les influences de Mütterlein sont multiples, la guitare y est rare, les percussions hypnotiques. Dark folk, darkwave, new-wave, indus, post-punk... Il y a un peu de Siouxsie ou de Xmal Deutschland dans ce chant, un peu de Lingua Ignota dans cette approche cathartique, un peu des Swans dans les transes hallucinées qui naissent dans le brouillard (la spectrale Black Dog). Les mélodies ont un pouvoir d'évocation rare malgré leur simplicité, peut-être en raison de cette manie qu'elles ont de s'extirper du brouillard créé par les différentes couches pour se loger dans un coin de notre tête et ne plus nous lâcher (My War, Mother Black Sun) mais aussi du contraste entre leur clarté et la pesanteur solennelle qu'elles instaurent.
Leclercq exorcise ses tourments dans ce premier album de Mütterlein, cathartique à titre personnel, notamment suite à la fin en queue de poisson d'Overmars. Si le ton est désespéré, l'horizon semble se dégager petit à petit, la mélancolie est moins étouffante à partir de Ghost Army comme si le chemin parcouru menait à une forme d'apaisement à défaut de réel soulagement. Du début à la fin, Orphans of the Black Sun est un album sublime qui impressionne par sa puissance et la fascination qu'il provoque, jusqu'à l'obsession. Un premier album aussi fort, c'est aussi rare que précieux.