Environ un an après Add Violence (chronique), NINE INCH NAILS conclue sa trilogie d'EP entamée avec Not the Actual Events. Entre temps, les choses ont légèrement changé, et Trent Reznor insiste sur le fait que Bad Witch est un album à part entière, certes court, mais un album. Il s'inscrit en tout cas dans la continuité des sorties précédentes, qui ont permis à NINE INCH NAILS de toujours évoluer, proposer de nouvelles choses et nous surprendre avec des expérimentations bien loin de la froideur minimaliste de Hesitation Marks, dernier "gros" album du duo Reznor / Ross.
On l'imagine assagi, rangé et apaisé, mais le Reznor fulmine. NINE INCH NAILS n'a pas toujours été un projet politique, mais les années 2000 ont prouvé avec certaines parties de With Teeth et surtout Year Zero que les tourments intérieurs de son leader ne sont plus du tout les préoccupations principales du groupe (comme si les bandes-son de documentaires n'étaient pas assez explicites). L'ombrageux leader, qui vante par ailleurs CHILDISH GAMBINO et dézingue KANYE WEST, s'est ouvert de manière plus explicite dans la presse : ce qui se passe dans son pays et dans le monde en général le met en boule et Bad Witch est un album pessimiste, apocalyptique presque. Il suffit de voir le titre du premier morceau, Shit Mirror, référence désabusée et blasée à la célèbre série d'anticipation. Un beat simple, des claps, de la distorsion : ça a beau groover, ce début d'EP s'amuse à nous surprendre et nous perdre (comme avec cette pause soudaine avant un final d'une liberté créative toujours appréciable) : on est plongés en pleine confusion, le monde est malade.
Le duo derrière NINE INCH NAILS continue de proposer une musique qui combine paradoxalement une certaine forme de minimalisme et un empilement de couches et de samples, avec toujours cette envie de dévier du chemin, de ne pas nous offrir ce qu'on attend. Ahead of Ourselves, morceau tout en tension, a presque un petit côté ATARI TEENAGE RIOT et pourtant on ne peut s'empêcher de trouver que ça manque un poil de tripes. Si l'on est tout à fait honnête, ça fait longtemps que NINE INCH NAILS n'est plus aussi viscéral, malgré les qualités indéniables de composition : tout est devenu très cérébral. Au final, c'est avec ses deux pistes instrumentales que Bad Witch nous touche le plus : ça commence avec Play the Goddamned Part et son saxo de plus en plus présent qui apporte une touche free-jazz inattendue : c'est noir, mystérieux, cinématographique et le lancement est idéal pour God Break Down the Door. Du saxo toujours, dont le retour dans NINE INCH NAILS est pour le moins surprenant, mais surtout un chant plus bas et lent de Reznor et une coupure atmosphérique sombre et mélancolique. Il y a dans ce morceau une élégance et un feeling assez goth, quelque chose qui nous renvoie immédiatement aux collaborations avec DAVID BOWIE à la fin des années 90. Noirceur, tension et confusion toujours : on pourrait très bien se trouver chez David Lynch.
La dernière partie de l'EP continue d'ailleurs sur cette lancée, avec une deuxième instrumentale ambiante et industrielle, I'm Not From this World, anxiogène au possible avec sa pulsation obsédante et ses nappes de plus en plus tendues jusqu'à un final minimaliste aux sonorités renvoyant à l'époque de The Fragile. Si Over and Out commence de manière très électronique aussi, le retour du saxo et un piano viennent apporter des touches d'humanité à ce final mélancolique jusqu'à ce que le chant de Reznor ne reprenne le dessus après prêt de trois minutes. Plaintif et bas, il se met une fois encore dans les chaussons de Bowie et semble contempler la chute de l'empire américain dont la glorification de l'ignorance rend malade Reznor. Prophétique, il se permet de conclure par un "I’ve always been 10 years ahead of you" qui agacera forcément les détracteurs du monsieur.
Point final d'une trilogie à la conscience politique et sociale qui rappelle forcément Year Zero, Bad Witch n'a cependant pas besoin d'un concept SF pour exister : le monde actuel qui s'effondre et se vautre dans sa propre crasse vaut bien tous les backgrounds fictionnels. Les trois disques forment un ensemble cohérent, parfois cryptique certes, mais prouvent que NINE INCH NAILS a encore des choses à dire musicalement. Acid techno, free jazz, rock indus ambiant : Reznor et Ross ne se refusent rien et multiplient les directions, continuant d'explorer de nouvelles voies. Si on ne vibre plus comme avant et que l'univers de NIN n'est plus aussi écorché et auto-centré, on est néanmoins obligé d'admirer l'intelligence et la créativité infatigable du projet, toujours aussi passionnant.