Dans la mythologie nordique, les Nornes ont la responsabilité de tresser les destinées des habitants des neuf mondes, comme les Moires grecques ou les Parques romaines. De destinée, on peut bel et bien parler avec Norna... Mais plutôt au sens de fatalité, voire de condamnation. Avec son second album éponyme, le trio suisso-suédois (avec Christophe Macquat et Marc Theurillat d’Ølten et l'ex-Breach et The Old Wind Tomas Liljedahl) enchaîne les sentences sans merci.
Sorti en fin d'été, Norna n'est décidément pas un album pour faire la chenille en tongs. Impitoyable et féroce, il suinte d'une noirceur monolithique dès Samsara, dont la pesanteur et la répétitivité hypnotique donne aux hurlements d'écorchés une saveur à la fois mystique et cosmique. On pense à Cult of Luna, évidemment (dont le second batteur et producteur Magnus Lindberg est ici aussi à la production), mais aussi Amenra pour cette touche viscérale rituelle ou LLNN pour la dimension hallucinée des nappes de synthé et cette opacité ténébreuse. Au mélange doom / sludge / post-metal s'ajoute une saveur industrielle glaciale qui renforce ce sentiment de terreur, ce côté cruel et sans pitié mais aussi un certain mysticisme spatial.
Apocalyptique dans sa lourdeur, l'album évoque un effondrement cataclysmique constant. Tout n'est que ruines et, à la fatalité, Norna ajoute la méchanceté. Le chant est sale, vicieux et le groupe ne fait ni dans la nuance douce-amère ni dans le clair-obscur : noir, c'est noir et tous les curseurs sont poussés à fond, les cordes vocales saignent leur bile noire dans la tempête. La guitare ne joue pas, elle se lamente et menace, imposant avec trois fois rien un décor sinistre et inquiétant, à l'image de la mélodie de For Fear of Coming qui s'extirpe d'une rythmique aliénante comme un corps putride s'arrache à la terre molle.
Malgré la radicalité du son et cette oppression constante, Norna ne s'engouffre pas bêtement dans un tunnel d'agressivité qui perdrait de son impact en route. Au contraire, entre l'émotion qui saigne de chaque hurlement, les rares respirations qu'offrent les coupures de rythme (plutôt que des répits, on y a l'impression d'un danger qui rôde dans les ombres), les samples creepys et distordus (l'intro Shine by itw Own Light et son ambiance de cérémonie impie où l'on vénérerait une saloperie sortie d'un trou noir, pleine de révérence terrifiée) ou encore les guitares hallucinées (The Sleep, cauchemar psychédélique intense et fiévreux) Norna donne à son album un relief vertigineux. Parler de montagne russe serait malvenu : ici, on ne passe pas son temps à monter et à descendre. On ne fait que plonger dans l'abîme, encore et toujours, plus loin, plus profondément.
Avec Norna, personne ne vous entendra crier. Vous êtes petits, vous êtes insignifiants, votre univers n'est qu'un champs de ruine pathétique à la merci des ténèbres venues le dévorer. L'auditeur se retrouve trimballé dans une tornade viscérale et rageuse où parpaings et coups de griffes se déchainent pour mieux broyer nos âmes ridicules et ratatiner nos corps. Le genre d'album dont on ne ressort pas serein et sur lesquels on compte pour éteindre définitivement cette saloperie de soleil qui s'obstine à frimer. Il ferait bien de ne pas trop faire le malin : le verdict est tombé, nous sommes tous coupables et les Nornes nous ont tissé un futur à la hauteur de nos vices, sans espoir ni lueur.