Une pluie épaisse tombe sur les pavés, crades et collants. La nuit est bleue comme dans un film de studio américain, la lune pleine et immense, perce à travers d'épais nuages. Un néon à moitié arraché clignote au-dessus d'un bouge insalubre où se dandinent quelques trognes patibulaires. Une musique s'en dégage, des gros riffs, une voix gutturale, des rythmiques frétillantes : NOT BAD y donne une sauterie. Sur scène, ils sont trois (quatre si on compte le squelette à la batterie). Leurs noms, forcément, claquent comme une rafale sous les lampadaires : Arnie Spookingham au chant, Brutal Juice et Morris Duvis aux guitares (tout de suite, ça sonne mieux qu'un nom de gredin bidon, genre "Sid l'Encornet"). L'air on le connaît : "Every boils and every ghouls, Spook up your Life !" (voix éraillée de rigueur).
On découvrait NOT BAD sur scène il y a quatre ans quasi jour pour jour pour un premier concert, sans suite mais pas sans séquelles. Il leur en a fallu du temps : le premier album de la formation horror metal sort enfin de son caveau pour nous hanter les esgourdes. Il faut dire que quinze hymnes macabres, ça ne s'agonise pas en deux minutes. Si l'on s'y amuse beaucoup grâce à un groove omniprésent et ces paroles pleine d'un humour noir qui nous évoque aussi bien une publication EC Comics (Les Contes de la Crypte, entre autres) que les vociférations de ROB ZOMBIE, on y reconnaît aussi un goût pour le metal qui tâche, qui fait secouer les cheveux, qui racle le fond du gosier (deux des musiciens ont sévi dans NEMOST, fort respectable groupe de death metal), le tout sous l'ombre d'un paquet d'influences, du rockabilly au metal extrême, des MISFITS à DIABLO SWING ORCHESTRA.
C'est évidemment dans cette ambiance joyeusement bordélique et macabre où se croisent pèle-mèle pop culture et références horrifiques, avec en background une époque vaguement datée quelque part entre les années 20 et 80, que l'on trouve notre pied. Enfin, parfois, on trouve aussi les pieds d'autres types. Ou d'autres morceaux, peu importe, au diable l'avarice. Guitares lancées à toute berzingue, piano possédé, un peu de thérémine pour le côté "venu d'ailleurs" et c'est parti, sans complexe, avec pour seul mot d'ordre le plaisir assumé, certainement coupable de bien des choses mais certainement pas de s'éclater. C'est quand NOT BAD plonge pleinement dans ce côté cabaret déglingué, avec chœurs, claquements de doigt et claviers fous que l'on s'amuse d'ailleurs le plus (Pussy Poker, d'emblée irrésistible, Spooky Baby ou encore la zinzin Love on the Deathfloor). Danny Elfman qui headbang avec Oogie-Boogie aux Enfers, quoi. Miam, de la lourdeur (Children of Gotham, menaçante et martiale) et beaucoup de grandiloquence théâtrale : on retient par exemple la gothique mais décalée TWAT et ses différentes voix (des loups-garou ? Voilà donc pourquoi on pensait à MOONSPELL), le clavecin baroque "so Castlevania" de Why so Serious Belmont ? et la danse macabre démentielle qu'il mène avec les guitares pour un numéro instrumentale jouissif où s'associent démonstration technique et ambiance délicieusement lugubre.
Entre légèreté et festivités très rock'n'roll (Prime Time, Bitch) et gros metal méchant, NOT BAD fait la bringue sans temps mort. Succession de tubes aussi amusants que sinistres, Spook Up Your Life a beau déborder d'amour pour le cinéma horrifique dans sa globalité, il évoque surtout la démence bariolée pleine d'hémoglobine des péloches des années 80, avec les mêmes qualités : c'est généreux, on ne retient pas ses coups et c'est fait avec un amour et une passion très premier degré (mais non dénuée d'humour) aussi communicative que fun. On pourrait bien sûr trouver que quinze morceaux, pour un premier jet, ça fait beaucoup à digérer, surtout à un tel rythme. Mettons ça sur le compte de l'enthousiasme et de la générosité, de l'envie de faire plaisir et de partager. On intellectualisera quand on sera vivants, en attendant, montez le son !