Chronique | Test Dept - Disturbance

Tanz Mitth'Laibach 2 juin 2019

TEST DEPT est l'un de ces groupes qui furent le fer de lance de la musique industrielle dans les années 80 et que l'on n'a jamais vraiment oublié depuis, bien qu'il n'ait plus sorti d'album depuis longtemps. On se rappelle sa musique bruitiste et oppressante, musclée par de redoutables percussions, le recours à des chœurs et à des instrumentations classiques lui donnant parfois un aspect grave et solennel ; on se rappelle aussi que cette musique s'inscrivait dans une démarche politique rare dans la scène industrielle de cette époque, car tandis que des groupes comme THROBBING GRISTLE ou LAIBACH ne s'exprimaient que par dérision et provocation, l'industriel de TEST DEPT était sans ambiguïté un cri de défense de la classe ouvrière britannique sous Thatcher.

C'est donc avec surprise et avec plaisir que l'on voit cette année revenir ce vétéran de la musique industrielle avec un nouvel album en poche à la couverture post-apocalyptique, Disturbance ! La dernière fois que l'on avait entendu parler du groupe, c'était dans les années 90 avec Totality et Tactics For Evolution, tentatives de se rapprocher d'une musique plus électronique au résultat mitigé. Qu'en est-il cette fois-ci ?

À l'évidence, le titre n'a pas été choisi au hasard : Disturbance est un album perturbé, tourmenté, reflet d'une société en crise ; on y est assailli de sonorités industrielles rugueuses et répétitives, liées entre elles par quelques sons électroniques qui rendent l'ensemble plus énergique, tandis que les voix déformées de Graham Cunnington et Paul Jamrozy martèlent leurs paroles dénonciatrices ; on entend quelquefois de lointains tintements et des chœurs effarés nous faire part de leur désespoir en ce monde. C'est un album rageur et inquiétant, fidèle à ce qu'a toujours été TEST DEPT, mais sous un nouvel emballage : si l'on retrouve en effet les sons industriels des années 80 (et quel bouffée d'air frais c'est à notre époque !), le groupe les mêle habilement à des sonorités électroniques plus récentes telles qu'on aurait pu en trouver chez FRONT LINE ASSEMBLY.

L'album ne perd jamais son caractère froid et oppressant, pareil à une une cage d'acier, pour reprendre l'expression de Max Weber à propos de la société moderne. On y rencontre des morceaux dansants dont les plus exemplaires sont l'imparable Landlord, véritable pièce maîtresse d'EBM, et l'angoissant Information Scare, d'autres beaucoup plus calmes, exprimant la désolation dans ce qui reste de notre monde comme Debris et son piano affligé ; le dernier d'entre eux, le long Two Flames Burn, réalise une très belle synthèse des deux, où se mêlent tintements, chœurs et rythme martial pour un chant d'espoir et de révolte, le disque se conclut ainsi sur son meilleur morceau. C'est donc un excellent album que nous livre TEST DEPT, qui va bien au-delà d'un disque pour nostalgique de l'industriel des années 80 pour nous livrer son propre univers.

Ajoutons à cela que, comme toujours avec TEST DEPT, cet univers sonore est pensé pour porter des messages, et sur ce plan, le groupe n'a guère changé depuis trente ans, si ce n'est que sa dénonciation s'est faite plus désespérée. On retrouve donc des paroles attaquant la lente rechute dans le capitalisme le plus barbare opérée par les politiques d'austérité (Speak Truth To Power), l'exploitation (Landlord, avec cette terrible formule qu'est "private venture, public despair" !), la propagande de masse (Information Scare), les luttes auxquelles est en proie l'Europe avec la dépossession subie par les travailleurs et le risque du fascisme (Gatekeeper), l'État policier (GBH84), et finalement des paroles appelant à la révolte (Two Flames Burn) ; celles de Debris et Full Spectrum Dominance sont moins explicitement politiques mais n'échappent guère à l'esprit de révolte désespérée de l'album. Disturbed est d'ailleurs dédié à la Orgreave Truth And Justice Campaign, commémorant la mort de onze grévistes lors d'affrontements avec la police dans la ville d'Orgreave en 1984, point d'orgue du mouvement de grève des mineurs britanniques, sans que les responsabilités policières et politiques n'aient été établies par la suite.

TEST DEPT frappe donc très fort avec ce nouvel album, dont la musique et les paroles sont certes glaçantes, mais pour ne nous rendre que plus combatifs. On pouvait difficilement rêver retour plus réussi !