OBSZÖN GESCHÖPF est décidément un projet à part, une sorte d'OVNI qui ne fait rien comme personne. Il faut dire que Remzi Kelleci, l'homme derrière OG, est un drôle d'oiseau. Après bientôt vingt ans d'existence, OBSZÖN GESCHÖPF continue d'évoluer et après des débuts EBM / dark-electro et une période metal industriel, Master of Giallo se présente comme un disque aux influences grunge et heavy-metal. Oui, oui. Histoire de bien faire les choses, Kelleci a invité quelques musiciens : l'album compte plus de 40 guests, issus de groupes divers et variés (on y croise Franky Costanza à la batterie presque tout le long, des ex-WHITE ZOMBIE, CRADLE OF FILTH, etc...). Mais même si sur scène le groupe a un line-up relativement stable depuis quelques années, OBSZÖN GESCHÖPF reste l'oeuvre d'un homme seul qui vit pour son projet et continue vaillamment de mener sa barque tant bien que mal.
Master of Giallo est un anachronisme. On sait Kelleci assez old-school, ce n'est pas en 2018 qu'il va se tourner vers l'avenir : l'homme est passionné de cinéma d'horreur des années 70/90 et ses références musicales n'ont pas dépassé les années 2000. Le giallo, ce mouvement cinématographique né en Italie à la toute fin des années 60 et popularisés par Mario Bava, Dario Argento et Lucio Fulci pourrait grossièrement se résumer à quelques éléments : une ville européenne, un personnage principal étranger un peu perdu, un tueur que l'on ne voit pas et qui porte des gants et parfois un chapeau, des meurtres graphiques... Et des bande-sons mémorables signées Claudio Simonetti, Fabio Frizzi et compagnie. Le décor de ce huitième album est planté. Reste à voir ce qu'il a à nous proposer musicalement. Une guitare sèche lance New York Ripper, Kelleci chante avec une voix (plutôt) claire qu'on ne lui connaissait pas : OBSZÖN GESCHÖPF est jusque-là méconnaissable. Un petit solo arrive bien vite, Kelleci s'amuse à prendre une voix nasillarde pour avoir l'air d'un vrai américain, même le son de batterie fait groupe de hard des années 80/90. Si l'on a du mal à en croire nos oreilles, un petit grognement ici ou là et un sens du groove certain nous rappelle que l'on est bien chez OG. Et ce n'est pas la pesanteur dépressive et le spleen à la ALICE IN CHAINS de April's Fool Massacre qui vont nous aider à retrouver nos repères ni la très fun et décomplexée Murderock.
Malgré ce changement radical de style, malgré son empilement de guests, OBSZÖN GESCHÖPF reste OBSZÖN GESCHÖPF. L'identité du projet, bien planquée dans ce début d'album, finit néanmoins par devenir plus évidente. Il y a d'abord ce goût pour les ambiances poisseuses, ce fond horrifique omni-présent qui sert d'emballage... Mais les riffs plus lourds de Body Pieces nous ramènent petit à petit en terrain connu. La preuve, Kelleci renoue avec ses borborygmes inarticulés et son goût de la grosse rythmique répétitive qui hypnotise et cogne fort. La guitare de The Moon Watches me When I Kill pourrait sortir tout droit d'un morceau de Tomb of the Dead remixé par MARILYN MANSON en 1999, avec un solo en prime. C'est dans la deuxième moitié de l'album que les synthés font leur retour, tout d'abord en intro de The Black Gloves of Terror, mais c'est avec My Scalpel Dances at Midnight que l'on retrouve ce sens de la mélodie simpliste et accrocheuse, évocatrice et sinistre typique de OBSZÖN GESCHÖPF. Les chansons sont pesantes, menaçantes et irrésistibles à la fois : Kelleci se fait plaisir de manière manifeste à singer ses idoles retro et à se la jouer rock-star d'une époque où on pouvait encore gagner sa vie en vendant des CDs. Au final, c'est sur Giallo Forever, ultime titre de l'album, que celui-ci atteint son apothéose : un synthé sinistre, un beat poisseux, un chant menaçant et quelques guitares pour épaissir le tout : ça peut passer en boucle sans soucis.
Master of Giallo est un album très spécial, c'est l'oeuvre d'un artiste qui se réinvente, une pièce qui contient le travail de pas loin de cinquante musiciens et réussit pourtant à être cohérente. C'est aussi un album qui a failli ne jamais exister (les réalités économiques pèsent lourd sur ce genre de projets) et qui est finalement le plus ambitieux de la carrière de OBSZÖN GESCHÖPF. Avec sa prod impeccable (Zeuss en a assuré le mastering), c'est aussi un pari réussi. Bien sûr, tout n'est pas parfait mais Kelleci, bien que n'ayant pas la voix de Layne Staley, surprend dans un registre neuf qu'il s'approprie avec un brio évident. OBSZÖN GESCHÖPF n'est peut-être plus aussi malsain et les fans de sons plus industriels ne s'y retrouveront pas toujours mais force est de reconnaître que l'homme ne tourne pas en rond et propose quelque chose d'inédit et tout aussi jouissif et cool.