Faut-il se fier à une pochette pour en décrire ce qui se cache derrière ? Mettons l'exercice en pratique, épluchons donc cet album tout en reliant le visuel aux évocations que le trio Parisien, par sa musique, induit. Évitons l’exercice pénible des supposées influences pour en venir sans détours à l'album de Oda.
Nous voilà conviés dans une pièce, autour d'un autel où se dressent les flammèches tremblantes de bougies, dans cet espace contigu où les murs se séparent, un vent brûlant vient se glisser. Cernés dans cet espace sombre, on croit avoir cerné un motif qui se dérobe instantanément, sans qu’on ait la moindre emprise sur ces visions déroutantes. Un grondement sourd, suivi d'un déluge de distorsions cryptiques, une musique glaciale expulsée depuis les tréfonds, et cette montée illustrée d'un signal, une onde qui déclenche une armada de guitares blafardes, plombées d'une césure rythmique où chemine une voix dont l'écho se propage dans un continuum hanté, Children of The Night ouvre les voies du mystère.
En six titres, Oda exerce une tension permanente, avec une dévotion sans limites à l'esprit doom des pères fondateurs, Zombi s'impose déjà comme un pilier sur lequel la pesanteur se liquéfie alors que les riffs s'enroulent autour du chant, tout semble être concentrique, à mesure que tournent les motifs sonores, saupoudrés de nappes lointaines, le chant caverneux parvient à nous faire rentrer dans un état de transe. L'intention de Oda est de capter chaque résonance comme un présage, de capturer sur disque la majesté de ses guitares, Inquisitor est ciselé dans une matière obscure, impénétrable, une audace que le trio arrive à franchir, les colonnes se parent de pourpre, du sang de la nuit, quelques doses infinitésimales de clarté suintent au détour de passages qui pourraient vous laisser de marbre, mais ces ralentissements sont une respiration. Oda ne pinaille pas uniquement pour plaire aux amateurs de post-machin, au contraire, Thomas Féraud manie le fer comme le métal, un glaive qu'il soulève avec ses deux comparses, Cyril (batteur) et Emmanuel (basse). De là à se noyer dans les marécages embrumés, nulle envie de s'y noyer, ils traversent ensemble le courant glacé, qui mène vers un vortex (Rabid Hole). Ambiances psychédéliques, hallucinatoires, la main du ciel arrache les êtres embourbés, pour les guider vers les terres du feu. Nous sommes à un moment où Oda entrouvre une brèche, dissonances et harmonies se côtoient sous les feux de distorsions en un flux impétueux et viscéral. Plus l'écoute se prolonge, plus on entre dans des dimensions inconnues, plusieurs états de conscience modifiables par les lignes électriques tressées avec une habileté de trois musiciens chevronnés. Mourning Star est le testament irréprochable d'un album conceptuel dont la thématique énigmatique revêt plusieurs symboliques.
Ce qui est éblouissant est que Bloodstained est autoproduit. Il est l'égal de grandes œuvres confectionnées par des sorciers de studios légendaires. Derrière la console, Thomas De Fraguier, dont la régie apporte une couleur sonore particulière aux six titres de Oda. Une fois terminé, on se repasse chaque titre pour prolonger cette fièvre étrange. Œuvre tombale, et pourtant bien vivante, descente incandescente dans la fournaise d'un volcan, l'album de Oda est largement comparable aux origines même du doom. Cryptique, constellés d'éclats capables de donner le tournis, les six titres s'écoutent sans autre option. La messe est dite.