ÖXXÖ XÖÖX est de retour avec un troisième album particulièrement attendu : depuis Nämïdäë, quatre ans se sont écoulés, ce qui a permis au projet de Laurent Lunoir de trouver de nouveaux adeptes, grâce aussi au succès de IGORRR, où il chante, et de MASTER BOOT RECORD avec qui il a collaboré pour l'album Direct Memory Access. L'aura d'ÖXXÖ XÖÖX est intrigante et mystérieuse et son metal sombre, lourd et énigmatique exige de son auditeur un certain dévouement pour en apprécier toute la richesse. Un constat plus que jamais d'actualité avec Ÿ.
Ÿ est un opéra baroque doom avant-gardiste et atmosphérique. La chose est frappante dès 44³, où le chant théâtral, expressif et bestial de Laurent Lunoir (poignant sur Lëïth Säë) s'oppose et pourtant épouse celui de Laure Le Prunenec. La complémentarité entre les deux artistes, déjà associés dans IGORRR et RÏCÏNN, est toujours aussi magique. Harmonies et contrastes, c'est l'essence même de ÖXXÖ XÖÖX dont le nom symbolise, à la façon du yin et du yang, l'opposition entre le bien et le mal. La lourdeur des riffs et la poisse qui se dégage de cette voix primitive nous plongent dans des abîmes de noirceur que pianos, clavecins et orgues viennent éclaircir.
La dimension narrative de Ÿ y apporte une tension dramatique toute particulière, en plus d'une réelle puissance d'évocation. Grotesque sinistre et élégance mystique s'associent au sein de morceaux progressifs flirtant avec les dix minutes de durée qui s'enchaînent pour former un magma infernal où les ténèbres profanes, terrifiantes et ancestrales luttent avec des éclaircies qui tendent vers le spirituel. En cela, le final en apothéose de Köböl(D), par exemple, est d'une grâce saisissante, venant panser les plaies ouvertes par le metal extrême des minutes précédentes.
Cryptique, on devine Ÿ riche d'une matière qui ne demande qu'à être creusée et approfondie. Note optimiste, le dernier morceau, 999, semble conclure l'oeuvre sur un triomphe de la lumière (le 9 s'oppose au 6, qui symbolise le mal). Si la pesanteur ne se dissout jamais, on y respire en effet plus et l'humeur semble y être plus apaisée.
Ÿ n'est pas facile d'accès. L'album est le fruit d'un travail aussi bien sur la forme que le fond et qui demande une concentration et un temps de digestion conséquent, tant le monstre est riche. ÖXXÖ XÖÖX y a poussé son identité jusqu'à son paroxysme et l'album est à la fois le prolongement des précédents et leur aboutissement, une créature unique, complexe et fascinante. Véritable Golem, cette oeuvre faite de terre et de souffrance possède une âme qui mérite bien plus qu'une attention distraite et dont les trésors s'offrent à nous au fur et à mesure des écoutes.