Pour son troisième album, PAVILLON ROUGE continue l'entreprise de décloisonnement entamée depuis maintenant dix ans. Avec Dynasteïa Klub, les Grenoblois restent fidèles à leur univers détonnant pouvant parfois sembler contradictoire, où black metal et fitness, spiritualité et machisme assumé cohabitent sans soucis. Trois ans nous séparent du jouissif Legio Axis Ka, et c'est avec l'espoir improbable de retrouver ce cocktail spatial à la fois décalé et très sérieux que l'on se plonge dans le dernier bébé de la petite bande.
La tension monte progressivement avec L'Harmonie et la Force : une nappe de synthés est petit à petit prise d'assaut par un beat de plus en plus fort auquel se greffent des riffs agressifs de guitare et le chant hargneux en Français, toujours. Le rythme est soutenu, l'alchimie entre les guitares et synthés créent quelque chose de théâtral et épique dont l'emphase est amplifiée par un chant hurlé et martial et des choeurs lointains vers la fin du titre. L'entrée en matière est furieuse, puissante, mais aussi, d'une certaine manière, contemplative. PAVILLON ROUGE n'a jamais masqué son attrait pour une forme de lumière et Dynasteïa Klub démarre de manière solaire. La musique proposée par le groupe s'éloigne de plusieurs formations mélangeant black metal et musique industrielle : le but ici n'est pas l'expérimentation sonore et la création d'atmosphères opaques mais plus d'envoyer de gros hits efficaces, dansants et bourrés d'énergie, comme une version moins bruitiste de BLACKLODGE. On note quand même la césure au milieu de Ô Légions, Ô Triomphes avec ses samples suivis d'un chant possédé et fédérateur qui apportent un second souffle au morceau au-delà de ses intro et outro très dark electro.
Au début de cette chronique, on parlait de fitness. Si vous suivez PAVILLON ROUGE, vous savez que le groupe a déjà évoqué la chose par le passé. Allez savoir pourquoi : est-ce une fascination pour la rigueur et le rythme de cette discipline ? Ou juste qu'ils aiment trop les justaucorps ? Sûrement un peu des deux. Toujours est-il qu'on ne sait pas trop comment prendre le clip de Dynasteïa Klub : c'est rigolo, mais allez savoir, ça se trouve les mecs sont de super gymnastes et prennent ça vachement au sérieux alors on n'ose pas trop de marrer. Imaginez un groupe de black metal fan d'équitation qui balancerait plein de ralentis sur des poneys qui gambadent dans ses clips : ça serait pas gentil de se moquer. Surtout que le titre en soit sonne pas particulièrement déconnant, mais plutôt perché et mystique avec ses paroles prophétiques, et toujours ce rythme irrésistible, ces riffs qui donnent envie de cavaler vaillamment et ces beats qui donnent envie de sautiller en collants fluos devant son miroir. Mysticisme intersidéral toujours avec Le Rayonnement du Temple Nouveau, sorte d'appel à prier un dieu de la teuf post-apocalyptique trônant sur une pile de cadavres, épuisés d'avoir trop fait la bringue.
Non seulement PAVILLON ROUGE revendique aussi bien EMPEROR qu'INDOCHINE (cf le nom du groupe) comme influence, mais ils poussent le bouchon au point d'aller à contre-courant du black metal morbide, tourné vers le passé, les cérémonies païennes et tout ce decorum. Résolument modernes, les types de PAVILLON ROUGE sont plutôt des sortes de chevaliers en débardeur qui chevauchent une caisse décapotable volante pour aller sauver une princesse dans l'espace et répandre la bonne parole. "Je me trouve du côté de la vie" déclare un sample au début de Bodhisattva : spiritualité encore avec ce techno-bouddhisme particulièrement rock'n'roll. On approche de la fin de Dynasteïa Klub et l'énergie n'a jamais faiblit. Notre Foi Brûle Encore en remet au contraire une louche avec son intro très black metal et sa hargne. C'est peut-être le morceau le plus violent de l'album, et après ça la coupure instrumentale qu'est Dans l'Ailleurs Absolu permet une respiration bienvenue. C'est d'ailleurs ce qui fait peut-être défaut à l'album : PAVILLON ROUGE, dans sa quête d'efficacité et de frénésie de tous les instants, en pleine démonstration de puissance, ne nous laisse jamais le temps de souffler. C'est qu'avec l'âge, ça finit par cogner ! Un peu comme à un concert où, haletant, on cherche son second souffle entre deux pogos et que l'on se retrouve plongé en plein chaos, Ad Augusta nous fait miroiter l'espoir d'un break avec son intro aux relents de sacré avant de nous remettre une grosse louche de tonus. Le chant clair et les guitares ont quelque chose d'épique qui sent la fin, une fin amorcée par un texte récité d'une voix menaçante avant un solo et un dernier refrain pour la route.
Quand meurent les dernières notes de Dynasteïa Klub, on est lessivés. Il faut tenir le rythme, et celui imposé par PAVILLON ROUGE est impossible. On ne sait pas trop à quoi carbure le moteur des cinq musiciens, mais ce qui est sûr c'est qu'avec une prod impeccable et une telle débauche d'énergie, leur troisième album est une décharge d'énergie, un OVNI dégoulinant de punch. Leur musique est à la fois festive et mystique, tourné vers l'avenir et régressive dans son utilisation de synthés retro, violente et positive, fun et particulièrement sérieuse. C'est ça PAVILLON ROUGE : un équilibre et une rigueur de tous les instants pour maintenir cohérent cet univers et faire exploser les cases dans lesquelles on aurait pu les coller.