Pénitence Onirique, groupe français de black metal mélodique, sortira son troisième album le 03 novembre prochain. Si chaque album se concentre sur une thématique bien particulière, Nature Morte nous offre une fresque sur les désirs de l'Homme. Le désir au sens large mais plus particulièrement le désir mimétique, qui selon René Girard (anthropologue historien et philosophe français du 20ème siècle) est à la fois tout le bien de l'être humain (l'apprentissage se fait par mimétisme par exemple) et tout son malheur car de l'admiration l'homme passe à l'envie, puis à la haine de son rival. Une haine certes contenue et sous-jacente mais qui peut mener au pire. C'est sur ce fond de pessimisme que s'ouvre le théâtre de Pénitence Onirique qui nous réinterprète ce sentiment dans une romance religieuse noire et violente.
Le premier tableau présente une dualité entre deux Dieux : la divinité "Mammon" (personnification de la possession) synonyme d'avarice associée à Satan et ses vices, et du Dieu pure et pieux. Du désir de possession au désir de vengeance il n'y a qu'un pas. Les textes sont d'emblée très imagés, le travail sur la forme est aussi profond que celui sur le fond. Les rimes s'accrochent à nos oreilles lors d'une prose lourde et poétique jonchée d'images infernales : "La nuit s'abat sur vos terres, le sol s'écarte, mon âme a lâché, je rejoins mon père le corps écarlate, vous m'avez jugé." Si "Nature morte" désigne souvent la peinture d'une nature inanimée, c'est la nature de l'homme qui est ici mise à nue, enlisée dans un schéma d'autodestruction. Les guitares sont denses à l'image de la foule oppressante aux yeux accusateurs qui se dresse devant nous.
Entre références religieuses anciennes et préoccupations modernes, la mort comme conséquence est présente à nos côtés tout au long de l'écoute et se fait belle à l'image de la musique aussi suffocante qu'élégante.
La pause instrumentale du quatrième morceau sonne comme une sombre halte introspective. On note un contraste entre le titre Lama Sabachthani (référence au cri de détresse désespéré de Jésus juste avant de mourir sur la croix abandonné de Dieu) et l'apaisement qui se dégage des notes qui tissent, tristes mais implacables, le destin d'une tragédie irrévocable. La pause est courte et on ressaute en enfer avec Je vois Satan tomber comme l'éclair. Les vestiges des vices des hommes sont partout. Le son, toujours plus écrasant, nous plonge dans un abîme vicié alors que la voix claire oscille entre sidération et désespoir. Des pantins dans un monde malsain de passions décomposées que les martyrs n'auront pas réussi à sauver dansent dans un théâtre désolé. Pharmakos (celui qu'on immole en expiation des fautes d'un autre lors d'un rite de purification utilisé dans la Grèce antique) rebondit sur la théorie de la création "utile" d'un bouc émissaire, qui permet à un groupe de se retourner contre un seul individu plutôt que de s'entre-tuer. Le chant lexical de la décomposition, du ravage, de la douleur et du sacrifice donnent une dimension irréelle presque mythologique à la fin de cette œuvre.
Nature morte est un conte jonché de versets qui explore un des aspects les plus sombres de la nature humaine. Celui de l'idolâtrie, celui qui contient un désir non mesuré qui nous aliène. Ce désir de tout posséder en dépossédant l'autre, celui qui mène les guerres, les châtiments et le chaos sous couvert de paix et de rédemption, même s'il s'agit de sacrifier l'essentiel, qu'il s'agisse d'une vie ou de l'entièreté du monde. Dans ce modèle vertigineux d'une boucle damnée qui se répète sans fin, Pénitence Onirique tente de nous remplir avec autre chose : une profonde réflexion sur nous même, une poésie sombre mais salvatrice dans l'instant, si bien que la douleur de ce constat devient addictive à l'écoute de cette œuvre aussi cruelle que superbe.