PENSÉES NOCTURNES est de retour. Le chapiteau des délires circassiens de Grand Guignol Orchestra s'est effondré, fini la piste aux étoiles et la bande de Leon Harcore se retrouve à la rue, le nez dans la fange. Douce Fange, même, d'après Charles la Trainée, comme ils disent : le ton est donné. Ce sera dégueulasse, bordélique, foutraque, déviant à souhait. L'univers est celui d'une vieille France aux halles insalubres, aux ruelles coupe-gorge, aux bobinards malfamés et aux bistrots dépravés, où bals musettes et exécutions sur place publique régalent la populace, forcément avinée. Voilà pour la présentation officielle de ce nouveau bébé difforme et puant.
On y retrouve bien vite tout ce que l'on aime (ou déteste) chez PENSÉES NOCTURNES : une atmosphère surannée grotesque et morbide, un son surchargé d'influences et d'instruments et bien sûr des beuglements chargés à la piquette. Le black metal est toujours présent (La Semaine Sanglante tabasse comme il faut) mais dans cet ensemble cacophonique et dissonant, ce ne sont paradoxalement pas les parties qui semblent le plus extrêmes. Il y a deux pièges dans lesquels il serait facile de tomber : ne pas prendre tout cela au sérieux et, évidemment, prendre tout cela trop au sérieux. Derrière les facéties "avant-gardistes" se cache un esprit sinistre, quelque chose de sale, violent et effrayant hérité des débuts dépressifs et boiteux de PENSÉES NOCTURNES dont on devine les contours dès Quel Sale Bourreau et sa transition atmosphérique aux cuivres et clavier spectraux, mais aussi un réel travail d'associations et de corruptions sonores.
Avec ses samples issus de glorieux paysage audiovisuel français, ses citations musicales patrimoniales (Chostakovitch version Cour des Miracles, ça marche bien sur Gnole, Torgnoles et Roubignoles et Le Tango du Vieuloniste est quand même une relecture plus fun que ce que faisait le GOTAN PROJECT) et son goût du théâtre bordélique, Douce Fange est un joyeux fourre-tout cohérent dans sa profusion et où chaos n'est pas synonyme d'arbitraire. On pense à Mike Patton ou à IGORRR (Fin Défunt, notamment, avec ses chœurs, son alarme de voiture et ses airs d'opéra grandiloquent frappadingue) mais en plus crade et grimaçant. Dans ce tas de fumier hyperactif fleurissent fréquemment quelques moments suspendus que l'on pourrait presque qualifier de gracieux dans leur décalage et l'accalmie qu'ils apportent, laissant place à des chœurs mélancoliques qui, s'il n'éructaient pas les pires dégueulasseries, donneraient presque envie de se taper un plat de spaghetti avec quelques clébards clodos.
Douce Fange est un aboutissement du style de PENSÉES NOCTURNES, assemblage de chaires mortes musicales, créature de Frankenstein répugnante et fascinante. La cacophonie y est poussée dans ses derniers retranchements, l'auditeur aussi : ce genre de festin épuise vite les moins gourmands. Tout cela est toujours aussi ludique et généreux, certes, mais allons un peu titiller la bête : si l'album est réussi, ce n'est pas seulement pour ses gimmicks. Au sein de ses histoires sordides, de ses relents de morgue et de pot de chambre, il y a une âme et un cœur qui battent avec sincérité. Comme quoi, on peut s'amuser d'un cadavre boursoufflé éventré sur les pavés qui puent la pisse et avoir un fond romantique.