Ne se reposant pas vraiment sur ses lauriers après le très bon Uncanny Valley sorti l'an dernier, James Kent n'a pas traîné à sortir du nouveau pour PERTURBATOR. Quand on aborde ce qui se fait en synthwave, encore plus que pour les autres genres vu la jeunesse du phénomène, on tourne souvent en rond. On trouve beaucoup de clones des quelques grands modèles, singeant les même sonorités, citant les mêmes références retro issues d'une époque que les artistes se sont appropriée sans forcément l'avoir connue pour au final mieux la fantasmer. Cette impression de croiser un peu toujours les mêmes se poursuit jusqu'aux esthétiques des groupes, utilisant les mêmes couleurs criardes (beaucoup de mauve, de bleu)... Avec New Model, PERTURBATOR annonce la couleur dès l'artwork : c'est noir, monolithique et inquiétant, bye-bye les filles dénudées sur fond flashy.
Ce choix est loin d'être anodin, et l'on s'en rend compte dès Birth of a New Model, dont le titre semble prophétique. Loin des rythmes endiablés qui ont fait trémousser les popotins de métalleux et qui sont la marque de fabrique de PERTURBATOR, l'entrée en matière est ici bien plus ambiante. Quand les beats commencent à résonner, ils ont des faux airs de dubstep lorgnant vers l'indus. James Kent semble laisser PERTURBATOR s'imprégner des penchants plus ambiants de L'ENFANT DE LA FORÊT, son autre projet. Loin des délires satanico-kitch sortis d'obscurs slashers, l'ambiance est sombre, très sombre, étonnamment oppressante même, et carrément dystopique, évoquant plus un film de science-fiction plein de villes modernes, de pluie et de nuit où l'humain n'a plus vraiment sa place (coucou Blade Runner). La chose se confirme avec Tactical Precision Disarray, et encore une fois ses influences industrielles, ses sons étranges et son ambiance anxiogène qui évoluent vers une deuxième partie de morceau intense avant un final purement atmosphérique et déprimant. Vantablack reste dans cette ambiance malsaine et mélancolique, et est probablement la meilleure piste de PERTURBATOR contenant du chant (signé ODDZOO), lorgnant même parfois du côté de l'EBM.
Tainted Empire apporte à l'album une grosse dose de violence, et si l'on pense à d'anciens morceaux comme The Cult of 2112, il dégage la même impression de malaise que les autres morceaux de l'EP avec ses rythmes malades, ses beats cradingues, ses nappes glauques et ses directions imprévues. Mais c'est après Corrupted by Design et ses accents tubesques que New Model révèle toute sa noirceur pendant God Complex, une pièce de dix minutes claustrophobe, menaçante, aux kicks déments et au final apocalyptique tout en spleen. On ne sait pas trop quelle mouche a piqué James Kent, qui, visiblement, devait être sacrément remonté quand il a composé New Model. Il s'agit non seulement de son travail le plus noir à ce jour, mais aussi du plus abouti, avec son ambiance cauchemardesque qui l'éloigne des pastiches de séries B un poil trop rigolardes. Comme au cinéma, où l'on trouve un paquet de films racoleurs et cyniques cherchant désespérément à avoir l'air cool en se moquant d'autres films pourtant bien meilleurs (Sharknado, on parle de toi), mais aussi de pures pépites de séries B, sincères et louables. Et avec cet EP, si PERTURBATOR était un film, il ferait clairement partie de cette seconde catégorie.
Présenté comme un EP, New Model dure tout de même plus d'une demi-heure, et est ce que PERTURBATOR a fait de mieux, s'élevant pour de bon au-dessus du statut de curiosité amusante avec cette oeuvre puissante et marquante. Alors que l'on croyait voir le genre patauger, voici qu'un de ses artistes précurseurs fait radicalement évoluer son univers pour proposer une nouvelle voie, laissant la place à des émotions plus sombres, plus sincères aussi. C'est avec des disques comme New Model que la vague synthwave grandira. C'est parce qu'il est le fruit d'une remise en question de la part d'un artiste qui a cherché à évoluer et a insufflé son âme à son travail de manière honnête et viscérale que le nouveau PERTURBATOR est si réussi.