On connaissait le talent de Petrolio pour nous tisser des ambiances cinématographiques évocatrices mais aussi son goût pour les sonorités étouffantes et anxiogènes. Avec Respira, l'artiste Enrico Cerrato a composé la musique d'un court métrage de AkAb, alias Gabriele Di Benedetto, qui cherchait une illustration musicale à la violence de son film. Vous le devinez déjà : la traversée ne sera ni lumineuse, ni joyeuse.
On se souvient de Club Atletico, inspiré par un centre clandestin de détention de la Guerre Sale en Argentine où étaient torturés les dissidents politiques. L'ambiance y était asphyxiante. Le rapport au souffle est de nouveau explicite ici, avec ces respirations paniquées qui instaurent un climat d'angoisse dès le prologue. Drone, ambient, noise : Petrolio joue avec les étiquettes comme il joue avec les textures, opaques et oppressantes et donne à son travail une tonalité solennelle, presque sacrée : on écoute Respira en silence, avec l'attention et le respect que l'on doit aux morts lors d'un rite funéraire (Quando ti Sento Piangere Sono Felice et son mystère). Il s'en libère aussi, le temps d'introduire un piano comme on offre une bouffée d'oxygène à la fin de Saturno Nel Cancro, rompant avec le thème entêtant et menaçant qu'il décline tout au long de Respira. Cerrato dose les dissonances stridentes et les distorsions bruitistes comme un maître : bien que relativement hermétique, son travail reste accessible et plaisant à l'écoute, pour peu que l'auditeur ait envie de se plonger en eaux aussi troubles. L'approche se veut suffisamment mélodique pour ne pas nous perdre et Respira servant de musique à un film, il s'en dégage aussi quelque chose de narratif qui nous saisit et nous intrigue. Via une nappe de synthé un brin plus lumineuse, un souffle de vent (Eri Cosi Piccolo, Cosi Piccolo, d'une tristesse glaciale), un rythme qui s'emballe (Dio Mi Amava Ancora), Cerrato crée l'émotion, apporte de l'organique : mélancolie, espoir, anxiété... Respira vit. Malgré l'épaisseur de ses couches, malgré le pessimisme et l'angoisse qui s'en dégagent, l'album s'achève d'ailleurs sur une injonction, "respira, respira" : le cauchemar prend fin et il faut vivre désormais.
Toujours aussi habile dans les nuances, jouant avec le temps comme il joue avec les sons, Petrolio nous maintient la tête sous l'eau pour mieux nous faire apprécier l'oxygène qu'il nous accorde avec parcimonie. Respira est un nouveau voyage en apnée dans l'obscurité, une nouvelle exploration de nos propres ténèbres, ni trop démonstrative, ni trop abstraite. Cerrato a définitivement le chic pour provoquer notre intérêt.