Quand on bosse pour un webzine, on envoie plein de mails. Et puis on en reçoit pas mal aussi. Mais surtout, on se lève le matin. Et se lever le matin, c'est pénible. Puis, péniblement, on allume d'un réflexe pavlovien l'écran, addiction quotidienne, qui vient nous péter les yeux et cramer le bout de neurone qui tente en vain de nous maintenir en vie. On check les mails, routine composée d'impersonnelles annonces de sortie, réductions sur des sushis et gens qui demandent comment ça va avant de demander qu'on leur rende un service... et parfois on reçoit un truc qui illumine la journée. Comme par exemple un message qui, en gros, dit "salut, j'ai aucune idée de si je dois vous écrire ou pas mais j'ai un groupe qui sort son premier album et ça parle d'un nain de jardin qui veut se faire un sandwich, se fait pourchasser par une bande de canards super vénères jusqu'en Enfer ou il se fait racketter par un gang de lave-vaisselle". Références revendiquées : DEVIN TOWNSEND, SHAÂRGHOT, HARDCORE ANAL HYDROGEN, DIR EN GREY, MARILYN MANSON, THE DILLINGER ESCAPE PLAN, IGORRR... Ok. Moi, je m'en fous : j'ai arrêté de lire à "nain de jardin" pour foncer écouter ce truc. Son nom ? PHONOPATHS.
PHONOPATHS comme, heu, "phonopathes", sur le même modèle que "sociopathe" ? Des malades du son ? Ou plutôt comme "chemins sonores" ? Sûrement un peu des deux. Ce premier album du duo est à la fois la preuve d'une sévère déviance des tympans mais aussi d'un attrait certain pour les morceaux tortueux dans lesquels on se perd pour mieux être malmené. Chuchotements flippants, nappes électro, grosses guitares épileptiques, growl bestial et miaulements stridents à la Kyô de DIR EN GREY : on a lancé l'album depuis à peine une minute et il y a déjà de quoi convulser dans une flaque de bave. C'est furieux, bruyant, intense : la batterie électronique ne fait preuve d'aucune pitié alors que les compos prennent des accents spatiaux et progressifs. Chasing the Big Sandwich dure sept minutes, et il y a déjà de quoi achever un paquet de monde. Le petit piano au début de Readysh laisse l'impression qu'on va souffler. Foutue naïveté.
PHONOPATHS cultive son goût de l'empilement, de la superposition, de l'accumulation excessive et de la boucherie : on comprend l'influence de Gauthier Serre. On nous promettait un nain qui se perd en Enfer : en fait, ce nain, c'est l'auditeur : petit être larguée qui se fait trimbaler de décibels en décibels et harcelé par des guitares très méchantes qui font rien que nous piquer nos sandwichs. Et encore, on ne vous a pas parlé des canards. Saloperie de bestioles, avec leurs pieds palmés, on les voit venir : toujours à coin-cointer innocemment, à porter de jolies vareuses, mais y'en a pas un pour porter un pantalon. Ils méritent bien les enfers, tiens. Down with the Over-Eater of Egg Omelets nous dégueule d'impressionnants hurlements dignes du plus froncé groupe de black-metal avant de s'achever dans d'amères lamentations beuglées qui se muent en un phrasé qui, étrangement, rappelle subitement la voix de robot nasillard de Nivek Ogre. En un battement de paupière, PHONOPATHS crée un décalage surprenant et étrangement émouvant qu'un sens du contre-pied vient prolonger avec les incantations gutturales façon moines asiatiques qui ouvrent OroNiRik, parenthèse hallucinée d'un album hystérique qui s'achève dans les glitchs, aboiements de chien et un petit piano, encore.
Tomber dans le piège du too-much est facile en plus d'être tentant. PHONOPATHS n'y échappe pas toujours, forcément : quoi de plus naturel pour un premier album ? Inévitablement, Sandwich, Ducks and Dishwasher : Chronicles of SuperTaste est épuisant. C'est probablement le but, d'ailleurs. Avec sa grandiloquence démente (écoutez donc l'intro très théâtrale de AnArchik Kream Party ou Trail to Trial to Try Hell, son titre rigolo à prononcer et ses influences dark-electro qui pointent le bout du nez) et ses accumulations permanentes (trop cool, ces cuivres improbables sur Bullyshwasher), l'album ne prétend pas faire dans la demi-mesure. Au risque, parfois, de donner l'impression d'une musique à la folie et l'arbitraire un peu gratuit. Peu importe : on nous avait prévenu dès le début que le bon-goût pouvait aller se faire voir. Mais de ce magma multiple (la multitude, n'est-ce pas là le propre de l'Enfer ? Mon nom est Légion, les nuées d'insectes de l'Exorciste, tout ça...), ce sont finalement les passages les plus conventionnels qui, paradoxalement, s'illustrent. Ainsi, AnArchik Kream Party, avec sa structure moins éclatée et son côté bien méchant, son chant menaçant et braillé (on comprend l'allusion à SHAÂRGHOT), ses riffs à la MINISTRY et ses chœurs déments en fin de morceau a beau se finir sur un odieux couinement de serpentin ambiance chenille-qui-redémarre, c'est peut-être le moment le plus fédérateur et efficace d'un album survolté. La folie n'est-elle pas référentielle ? Quoi de plus logique alors que dans ce chaos se distingue tout particulièrement les accalmies (relatives) et les schémas plus familiers ?
Les chemins proposés par PHONOPATHS ne sont pas faciles à suivre : Sandwich, Ducks and Dishwasher : Chronicles of SuperTaste est un album de bruit et de fureur, cultivant un goût pour l'absurde jusque dans sa forme. Ce premier album ne plaira pas à tout le monde. D'ailleurs, il ne le doit surtout pas : plaire à tout le monde, c'est d'un chiant. Si vous êtes d'humeur chagrine, vous trouverez ça pénible. Sinon, bienvenue dans cet univers totalement barré et violent où créativité rime avec liberté !