Depuis une dizaine d'années, Ploho enchaîne les albums, s'exportant pour mieux forger sa réputation et s'incruster parmi les groupes les plus en vue d'une nouvelle scène post-punk / new-wave russe en plein essor. Почва ("Pochva" - le sol) est une nouvelle pierre froide ajoutée à l'édifice des sibérien dont l'artwork en dit déjà long sur le contenu : non, Почва n'est pas un album qui va vous aider à garder votre bronzage !
Il est en effet difficile de ne pas voir en ces fleurs fanées, extirpées de leurs terres, une métaphore des musiciens eux-mêmes qui ont quitté la Russie pour vivre en Serbie, où l'air était plus respirable quand on tient un discours anti-guerre. Ploho n'a jamais caché l'influence de son pays natal dans son univers : cette froideur, ce désespoir, cette angoisse, le trio les a hérités des dernières années de l'ère Soviétique, juste avant son effondrement, mais aussi du climat de violence dans lequel ils ont grandi pendant les années 90. Fleurissant désormais hors-sol, Ploho convoque comme jamais ses fantômes provoquant de bien beaux frissons dès l'hymne anti-capitaliste Гештальт ("Gestalt"). Le chant de Victor Uzhakov, monocorde et sépulcral, cette basse maussade, ces synthés spectraux qui nous enveloppent : l'horizon est gris, rempli de nuages pesants.
Ploho ne fait ni dans l'ornemental ni dans le décalage humoristique. Son univers est minimaliste, brut, austère. Cependant, malgré ce chant grave qui semble tout faire pour nous plaquer sur un sol gelé et aride, l'album évoque aussi un certain désir d'évasion, une forme de légèreté mélancolique et nostalgique portés par des mélodies de synthés qui dégoulinent d'influences 80's (la douce-amère Я буду жить для тебя ("je vivrai pour toi"), la plus sautillante Красота не спасёт мир ("la beauté ne sauvera pas le monde") ou encore une reprise de ПТВП, alias Poslednie Tanki V Parizhe, Край ночи et ses émotions plus démonstratives). Quand Ploho se fait dansant, c'est dans un affolement qui transpire la panique, l'anxiété ou la rage fiévreuse (Страшно и точка, "tout simplement effrayant", ou la bien nommée Печаль, "la tristess"), hymnes idéaux pour se dandiner en regardant fixement un sol gris et humide.
La terre qui donne son nom au nouvel album de Ploho continue de nourrir leurs âmes, à défaut de leurs corps. Se fanant dans la mélancolie, le trio chante les fantômes de son pays avec son habituel mélange de poésie et de radicalité glaciale. Imaginez que Joy Division rencontre la sévérité rigoureuse de l'architecture soviétique et vous aurez une idée du tableau. Si le froid dépouillement d'un paysage morne n'est pas synonyme de monotonie pour vous alors vous trouverez là de quoi vous rafraîchir et danser tristement dans les ruines sourdes d'un monde condamné.