Mais qu'est ce que c'est que cet enfer ? POPPY, qu'on nous dit que ça s'appelle. C'est né en 1995, ça a de grands yeux et la peau lisse, on dirait un cauchemar créé par une intelligence artificielle pour nous vendre des yaourts. Et ça invoque Satan sur la pochette de son troisième album. Son premier, d'après l'artiste, tant elle estime s'être enfin trouvée après avoir erré sur youtube, où elle glanait des millions de vues avec sa pop sucrée insupportable et ses clips dans lesquels elle parlait à des fleurs. Une émancipation bienvenue donc, pour une artiste qui assume son rôle flippant de poupée artificielle et s'affranchit de son précédent producteur.
I Disagree, donc. Et ça sort sur Sumerian Records, qui compte quand même dans son roster des artistes comme BODY COUNT, THE DILLINGER ESCAPE PLAN ou JONATHAN DAVIS. Parfait. De toute façon, on avait déjà pu découvrir cette facette de POPPY il y a quelques mois quand elle sortait son featuring avec FEVER333...
Trêve de bla-bla, quand faut y aller, faut y aller. On se retrousse les manches, on monte le son, on balance POPPY. Première réaction : doux Jésus, c'est quoi ce bordel ? Des riffs de guitare agressifs et dissonants, un chant tout droit sorti d'un générique de dessin animé avec des fées-copines-pour-la-vie... On voit d'ici les métalleux prendre feu de rage et d'embarras à l'écoute de la chose mais, également, se passer ça en cachette quand les copains du PMU ne regardent pas. On déconne pas avec la street-cred et la virilité d'un métalleux. Même chose dans la cour de récré : la plupart des gosses se rouleront par terre, leurs petites oreilles pissant le sang, se noyant dans des flaques d'urine et de vomi. Mais ceux qui brulaient des fourmis à la loupe, ceux qui essuyaient leur nez sur les vitres pour y laisser des trainées de morve et ceux qui jouaient à jeter des oiseaux morts sur les instits, eux, y trouveront une forme d'illumination (on vous voit, on vous connaît).
Faire éclater les frontières entre les genres, c'est une bonne chose. Être surpris aussi. Encore faut-il savoir vaguement ce que l'on fait et le premier contact avec POPPY sur Concrete donne l'impression d'un gloubi-boulga arbitraire, une popote dont les différents ingrédients ont été balancés au hasard par une gerbille hyperactive. Des riffs génériques aux lignes de chant archi calibrées en passant par l'immonde solo de guitare kitchissime digne des pires dégoulinades hard FM des années 80, tout cela pourrait avoir été assemblé par un algorithme sacrément déviant.
Pourtant, I Disagree est aussi un album assez amusant, passée l'incrédulité des débuts. On finit par se laisser surprendre (BLOODMONEY, ses grosses basses saturées et ses vers scandés rageusement fonctionne). Le gimmick metal a beau ne pas toujours convaincre, il apporte une dose d'inattendu à des titres autrement insipides (il faut réussir à se farcir en entier Sick of the Sun, c'est pas gagné), brasse large (Fill the Crown et Sit / Stay ont des vagues airs industriels) et assume parfois de faire grincer les dents avec des sonorités bruitistes (Anything Like Me). On finit par s'amuser d'une transgression qui, au final, n'est pas tant de coller du metal dans de la pop niaise mais plutôt l'inverse : quel affront ! Il finit par se dégager de l'ensemble une atmosphère réellement sinistre, où l'aseptisation cauchemardesque et certains moments de pure démence font leur petit effet.
Finalement, POPPY, c'est mignon mais aussi vachement malsain. Avec ses messages gentiment anti-conformistes emballés dans des mélodies calibrées au possible, I Disagree est rempli de moments sucrés indigestes mais aussi de hurlements désespérés, terrifiés et douloureux. Ceux de l'artiste, ou les âmes damnées des auditeurs qui se retrouvent piégées à l'intérieur des morceaux ? Allez savoir. On ressort physiquement éprouvé par la traversée de ce machin, surpris d'être indemne mais sans non plus totalement se reconnaître dans le miroir, comme si on y avait perdu je-ne-sais-quoi au passage et que plus rien ne sera jamais comme avant.
De toute façon on est devenus trop vieux pour y comprendre quoi que ce soit. POPPY, ça finira un jour au Hellfest, c'est sûr. Et là, on verra bien qui y survivra.