Revoilà PUNISH YOURSELF, après Holiday in Guadalajara, un album à la personnalité forte mais injustement boudé par une partie du public, après une tournée où la petite bande se débarrassait de ses habituelles couleurs pour un noir et blanc du meilleur effet, et surtout, après que leur charismatique guitariste Miss Z ait décidé de quitter l'aventure. Son départ a fait l'effet d'un séisme, certes, mais PUNISH YOURSELF est expert en tremblements de terre : c'est le genre de types déjà tellement secoués qu'ils passent crânement sous l'échelle de Richter histoire de défier le mauvais sort avant de la démonter sauvagement. Puisque leur guitariste est partie, alors Spin the Pig sera un album plein de guitares furieuses : ce n'est pas parce qu'ils sont réduits à trois qu'ils deviennent des manches !
On pouvait craindre une forme de lassitude ces dernières années du côté des toulousains, entre l'accueil mitigé réservé à leur dernier album et cette (dantesque) tournée Black Sun White Noise au cours de laquelle ils ont non seulement mis au placard les teintes fluo qui leur collent à la peau mais aussi certains de leurs classiques remplacés par des morceaux plus anciens (ainsi, vx répétait à loisir que "non, ce soir, on ne jouera pas Gay Boys"). C'es comme ça que le groupe a fait peau neuve, avec ces concerts qui nous renvoyaient dix ans en arrière quand Night of the Hunter nous collait la migraine, mais surtout avec ce nouvel album au thème porcin omniprésent. Tout le monde aime les cochons, allez demander à MINISTRY, OHGR ou évidemment NINE INCH NAILS : ils ont tous rendu hommage à leurs groins humides, leurs drôles de queues et leurs tendances à vouloir être les boss de la ferme. C'est donc avec un calembours qui, comme souvent, amusera les cinéphiles (Pig Trouble in Little Schweina) que démarre l'album et, d'emblée, on retrouve ce frisson familier : nappes et samples plantent le décor de cette piste servant de rampe de lancement. PUNISH YOURSELF soigne ses départs, et Spin the Pig n'échappe pas à la règle en faisant bien monter la tension avant Lo-cust. Et c'est là qu'on commence à comprendre qu'on va prendre cher... Trop tard, le coup est parti et on ne peut qu'encaisser.
Riffs furieux, son de batterie identifiable entre mille, chant rageur : PUNISH YOURSELF a rarement autant senti la hargne et la testostérone. Après les empilements de couches sonores et de samples de Holiday in Guadalajara, leur nouvelle orientation sonne particulièrement brute et rentre-dedans. Plus qu'une mue, ils s'arrachent sauvagement l'épiderme, ôtant toutes graisses superflues pour ne garder que l'essentiel. Il en résulte quelque chose de très rock'n'roll et poisseux, dégoulinant d'énergie, très loin des sons plus techno de Sexplosive Locomotive. Die-s-i-ray ou Blacksunwhitebones évoquent en effet un mélange entre le MINISTRY de la fin des années 80 / début 90 et la frénésie de MÖTÖRHEAD, le tout passé à la moulinette punk de PUNISH YOURSELF histoire d'emmerder les épileptiques. On retrouve dans l'ADN de ces morceaux aussi bien des traces de leurs obscurs débuts, quand ils scandaient fièrement "bouc-émissaire, souffre douleur !" que de 1969 WAS FINE ou encore d'autres titres plus ou moins récents comme Las Vegas 2060's, Companeros de la Santa Muerte et ses guitares ou encore This Is My Body, This is my Gasoline pour l'agressivité et les percus théâtrales. Si la troupe fluo a toujours été assez énervée, on l'a rarement sentie aussi remontée : Spin the Pig n'est qu'agression et fracassage de mâchoires, sans ne jamais proposer de passages plus festifs pour alléger l'ambiance ou d'interludes atmosphériques : même l'instrumentale Silver Sliver qui conclue l'album est pesante et pleine de guitares saturées.
Allez savoir quelle mouche les a piqués. Avec son artwork bigarré et surchargé (la pochette comme le livret) fleurant bon la BD de SF des années 70 façon Druillet, où l'on croise pêle-mêle de la symbolique pour complotistes, Rick et Morty, et autres délires Orwelliens mystiques ou historiques, Spin the Pig s'inscrit dans l'ambiance cyberpunk bordélique, ésotérique et pessimiste qu'on adore tant dans ce groupe. Un peu à la manière de Pink Panther Party, on devine un album aux inspirations politiques, mais auquel les paroles toujours aussi cryptiques donnent également un aspect étrangement allégorique et déviant. En effet, ce n'est probablement pas dans les textes de PUNISH YOURSELF qu'il faudra chercher un message clair, chacun pouvant y voir ce qu'il veut en fonction de ses obsessions et névroses. Les thèmes sont souvent post-apocalyptiques (Lo-cust, Blacksunwhitebones) ou personnels (Die-s-i-ray), toujours emprunts de rancoeur et de menace. Dans le morceau titre, monumental et grandiloquent, vx menace "fear the day the pigs are gonna get things done". Qu'est-ce que cela révèle sur vos peurs et fantasmes si "des porcs qui font le boulot" vous évoquent le corps nu et suant du président américain, ou un autre abruti fascite batifolant dans la porcherie (air connu), dansant dans le bacon, recouvert de sauce barbecue ? Voilà le genre de questionnements dangereux que l'album peut soulever sur votre propre psychée, alors faites gaffe aux paroles, ne prenez pas trop de risques !
Contrairement à ce que proclame There's No End to This, au son plus proche de ce à quoi nous a habitués le groupe, on arrive rapidement au bout de l'album. Spin the Pig n'est pas très long. Il contient dix titres. Neuf si on retire le remix à la fin. Sept si on retire l'intro et la transition Hog'n'Magog. C'est parfait : une telle énergie brute aurait pu s'épuiser sur la durée. Là, on reçoit l'uppercut, on valdingue contre le mur, mais avant de mordre la poussière il nous reste justement cet impressionnant remix de Lo-cust par SONIC AREA, nous renvoyant à l'époque bénie de Phenomedia qui réunissait les deux projets. Mélodie hypnotique et flippante, distorsions anxiogènes : l'apport d'Arco Trauma au morceau est plus qu'appréciable, d'autant plus que c'est la touche atmosphérique et électronique plus prononcée qui manquait peut-être à l'album jusqu'à présent.
Moins de fioritures, plus de violence : voilà la recette de Spin the Pig. La marche des cochons à la sauce PUNISH YOURSELF est dense et furieuse, sale et transpirante, radicale et directe. Ils nous avaient habitués à étoffer leur son de nombreux samples et de détails qui passent ici au second plan. Avec son énergie punk et sa hargne, Spin the Pig sonne comme une renaissance bruyante pour le groupe toulousain, qui a visiblement les crocs. Les patrons sont de retour, ça fait du bruit, et on a hâte de voir ce que tout ça va donner sur scène !