Chronique | QOYA - Karma

Franck irle 7 octobre 2024 Franck irle

Certaines pochettes intriguent dès le premier regard. Non que l'on soit en mesure de connaître le contenu qui se cache derrière, mais l'oeil perçoit un diamant noir dont les reflets laisse échapper le drapé de l'espace et d'une acropole flottant dans le vide. L'esthétique pourrait très bien correspondre aux pochettes du groupe Grails ou aux réminiscences de Sayat-Nova de Sergueï Paradjanov. QOYA est un groupe Grenoblois qui n'est pas à son premier coup d'essai, le tir a en effet été rectifié dans un laps de temps très resserré. Du post-punk d'un premier EP, suivi de l'album Yokaï en 2021, l'écart temporel et musical est un grand saut vers des territoires inconnus, mythiques, voire mystiques.

 

Karma répond à des impératifs existentiels, un peu comme un entonnoir dans lequel se transvase soudainement, toute l'inspiration commune du trio. Ossature instrumentale parsemée de vocaux (l'étonnant et éthéré Ghost), QOYA ne se limite pas à pratiquer du post-rock mais injecte dans ses compositions une lame de doom écorché, sans jamais tomber dans la dramaturgie. Au contraire, dans ces dix compositions aux titres laconiques, se déploie toute une palette de tristesse d'une beauté saisissante, Mantra en est l'exacte illustration, le condensé d'un blues spatial. Et puis toujours cette voix fantomatique, celle de Quentin Chazel, qui ne ressemble à aucune autre, sinon à l'expression la plus personnelle et introspective qui soit. Nous avons entre nos oreilles, un immense album, où les rebonds imprévisibles nous emportent dans une myriade de visions.

Aux infirmités de la mémoire, cosmonautes amnésiques, nous essayons de reconstituer les rêves de nos récentes nuits, de nos vies antérieures. Anima préfigure le retour d'un voyage dans les limbes, QOYA a toutes les clés en mains pour décadenasser les verrous de l'âme. On ressent le besoin, à savoir qu'à travers chaque minute écoulée,  de prolonger cet état de flottaison dont les claviers planants de Timeless dresse un nuage sur un chant ténébreux, que les instruments propulsent dans une sorte d'écume. Il est indéniable à ce stade de considérer QOYA comme une des plus belles surprises de cette année.

Rompre avec soi-même, avec le personnage superficiel et puis au fil du temps, comprendre que notre destin a pour dernière demeure le séjour des morts (Sheo). Bien plus qu'une prouesse, Karma ne procure jamais de lassitude, on pourrait revenir sur chaque titre, indéfiniment. Entre un chant proche de la psalmodie de Dave Gahan, Sisters Of Mercy et une musique poignante, les parties rythmique de Amar Ruiz sont d'une précision métronomique et imprévisibles, tandis que les volutes mélodiques de Antoine Roux montent en altitude, QOYA a atteint la cime du cosmos, l'autel cosmique dont l'esprit se repose momentanément.