Jérôme Reuter poursuit son voyage entamé seul au milieu des années 2000 au rythme infaillible d'un album par an. Son dix-septième l'emporte, à en croire le titre, jusqu'à la fin de la lumière. Ce qui est fascinant chez ROME, au-delà de cette poésie sombre et de ce mélange d'influence entre chanson, industriel martial minimaliste et neofolk, c'est cette capacité à toujours se renouveler et essayer de nouvelles choses sans ne jamais perdre son auditeur ou se transformer radicalement.
Après un Parlez-vous Hate? tout en hymnes et parfois presque amusant avec son ironie et son sens de la formule accrocheuse, on retrouve sur A Slaughter of Crows une humeur plus sinistre et menaçante. ROME revient à l’austérité et à cette touche martiale qui donne aux plaintes une tonalité funèbre, soulignée par un chant plus guttural que d'habitude. Pourtant, de cette introduction, c'est surtout le place prise par l'électronique qui est représentative d'Hegemonikon. ROME assume pleinement une orientation synthpop surprenante, avec sa mélancolie dansante à la DEPECHE MODE (No Second Troy) et ce sens du tube, du morceau fédérateur, du rythme entraînant. Les refrains nous collent aux tympans (Surely Ash, Solar Caesar) et les synthés analogiques apportent leur soutien à la guitare de Reuter avec, toujours, cette maîtrise de la nuance, cette sobriété et cette classe folle. Même quand ROME s'emporte à la nostalgie, au sentimentalisme, il n'en fait jamais de trop. Pourtant, schizophrène, l'artiste s'amuse à casser fréquemment cet entrain en nous replongeant dans des ambiances lourdes lugubres et opaques au spoken word de mauvais présage (Icarus Rex, Stone of Light - Mer de Glace) faisant d'Hegemonikon un album plus mystérieux et plus contemplatif que son prédécesseur.
Un album par an et une créativité toujours vivace : Reuter ne s'émousse pas. Hegemonikon est un album qui passe du hit en puissance au morceau rigoureux, boudeur et inquiétant. Quand ROME, toujours hanté par les spectres de la guerre et l'histoire de l'Europe, s'essaye à quelque chose de plus dansant, on obtient ce très bel ensemble porté par la voix grave du chanteur luxembourgeois, son sens de la poésie et sa montagne d'influences gothiques, folk, industrielles et new wave. Avec passion et talent, il continue d'utiliser son projet pour essayer de nouvelles choses, refusant la stagnation et la routine. C'est à nouveau très beau, très élégant et bien sûr, malgré ses rythmiques entraînantes, totalement déprimant.