Rome chamboule ses habitudes : après deux décennies à chanter l'Europe en évoquant notamment les horreurs passées des guerres au rythme d'un album par an, le projet neofolk / industriel du Luxembourgeois Jérôme Reuter a été rattrapé, comme nous tous, par ses cauchemars. Après Gates of Europe entièrement consacré à l'invasion de l'Ukraine par la Russie sorti l'an dernier, l'artiste a disparu de nos radars quelques mois pour revenir avec World in Flames, un gros EP présenté comme une "dissection sans merci de notre monde".
Si notre dose annuelle de Rome est deux fois plus courte que d'habitude, elle n'en est cependant pas moins intense. Malgré son rythme, Reuter a toujours réussi à insuffler à ses albums une identité propre, faisant évoluer son projet entre neofolk, industriel martial et minimaliste, chanson et même synthpop ses dernières années. Forcément, certains albums marquent plus l'esprit que d'autres et, dès l'introduction passée, on sent que World in Flames sera de ceux-là.
Semblant poursuivre l'orientation plus électronique de ces dernières années, Rome renoue aussi avec une froideur inquiétante sur First We Take Berlin et son intimidante rythmique martiale pleine d'échos sinistres. La voix de Reuter, grave et lugubre, narrateur poète amer, transporte et dénonce tout en détournant les thèmes apocalyptiques de First We Take Manhattan de Leonard Cohen dans un décor évocateur de l'émergence de l'Allemagne nazie. Ses talents de composition font encore mouche, le refrain nous attrape pour ne plus nous lâcher. Austérité martiale électronique encore et toujours avec Submission sur laquelle Rome sample la mélodie du chant ukrainien Білі Ночі (Nuits Blanches) et lui donne une intensité théâtrale à l'atmosphère funèbre. Comme dans ses meilleurs titres, Reuter réussit ce grand écart entre des morceaux sombres, froids voire sévères, et une accessibilité, une séduction qui se loge dans son chant, dans ses refrains.
L'EP est divisé, à l'image du monde nous souffle le laïus promotionnel officiel. Ses deux parties sont ici évidentes, la cassure arrivant à mi-chemin avec un retour de la guitare sèche et du folk. La mélancolie d'Eagle Wings et Todo Es Nada ont un potentiel hymnique moins plombant que les titres les précédant et renouent avec le Rome que l'on connaît le mieux, moins surprenant mais pas moins inspiré et toujours aussi élégant, épuré mais moins glacial.
Après vingt ans à chanter les guerres du passé, Rome s'écoute désormais au présent. De narrateur un brin prophétique, Reuter est devenu observateur de l'incendie. World in Flames est son offrande annuelle la plus courte mais, en la condensant à l'essentiel, aussi une des plus percutantes.